Rawkus :: 1997 :: acheter ce disque

Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, c'est de labels farouchement indépendants que semble venir le salut. En 1997, le hip-hop de qualité tendant à se raréfier, "independent" ou "alternative" sont des maîtres mots, et Company Flow est le premier groupe à les proclamer. Issus de la scène rap hardcore de New-York, forcément, auto-produits, auto-promotionnés, fondateurs de leur propre maison de disque, Official Recordings, (distribuée par Rawkus, le label au centre du nouveau monde hip hop qui se dessine, de San Francisco à la Grosse Pomme), les trois de Company Flow ont choisi une cible, le business, et un slogan, "independent as fuck", qui laissent peu d'ambiguités sur leur créneau et leur identité.

Apparus dès 1993, El Producto ou El-P (le blanc, rappeur et producteur), Bigg Jus (rappeur) et DJ Mr. Len (DJ, évidemment) sont restés longtemps confidentiels avant la sortie en 1996 d'un EP acclamé par la critique et le public spécialisés. Le disque fut pour beaucoup dans l'intérêt soudainement suscité par le rap indépendant. Company Flow n'allait toutefois pas s'arrêter là, et quelques maxis plus tard ("8 Steps to Perfection"/"Vital Nerve", le prodigieux "InfoKill"/"Population Control" et "Fire In Which You Burn"/"Collude & Intrude"), en 1997, ils sortirent un Funcrusher Plus qui résumait leur carrière et leur talent, compilation indispensable pour les fans des premières heures, occasion pour les autres de découvrir le nouveau groupe rap qui compte.

Radical, le rap de Company Flow est pourtant fortement ancré dans les 90s : comme la plupart de ses contemporains, le groupe a ralenti son rythme et épuré son style pour un hip-hop midtempo tout en ambiance, comme un Wu-Tang poussé au fond de sa logique, les côtés loufoques et les concepts foireux éjectés. Le début de Funcrusher Plus est dans ce ton : "Bad Touch Shample" et "8 Steps to Perfection" sont des titres cinématographiques et totalement hallucinés, où quelques samples discrets soulignent le rap des MCs. "Krazy Kings", vers la fin, est comparable. Modifiés par rapport aux originaux, "Population Control" et "Info Kill" sont les meilleurs exemples du genre et les deux titres forts de Funcrusher Plus : le premier, un morceau lent et post-apocalyptique, sur fond d'eau qui coule, nous transporte peu à peu dans l'autre dimension du rap, et le deuxième, tout en nappes sublimissimes, est le coup d'estoc de l'album.

D'autres fois, Company Flow nous assène des bombes beaucoup plus hardcores, résumées à trois notes, une rythmique énorme mais lente et un flot de raps obsédants : "Collude/Intrude", autre single (avec le renfort de J-Treds), et "Last Good Sleep", sont les plus grandes réussites du genre. Les autres fois, trop austère, la formule rebute : "Blind", par exemple, très prisé par l'underground, échappe à l'ennui par quelques explosions de cuivres. Il faut toute la vindicte du trio pour transformer l'aride "Legends" en quelque chose de marquant, et "89.9 Detrimental" suivis de "Vital Nerve", deux versions différentes du même titre, prouvent que peu de choses séparent l'insignifiance de l'inspiration. Même terrorisme ultra-minimaliste, avant, sur "Definitive", dans une moindre mesure sur "Lune TNS", et après sur "Tragedy of War".

Rares sont les morceaux un tant soit peu remuant et funky, plus rares encore ceux qui caressent l'auditeur dans le sens du poil. Seuls quelques hymnes vindicatifs font bouger plus que la moyenne comme le mal nommé "Silence", et le hit le plus immédiat de l'album, "the Fire in Which you Burn", prodigieux rap à sitars qui tape fort, auquel participent des membres des Juggaknots, autres héros du rap indépendant de la même famille.

Funcrusher Plus recèle aussi quelques divagations étranges à l'image de "Help Wanted", qui n'est pas sans rappeler Dr. Octagon, notamment pour les paroles délirantes et science-fictionesques, et des délires scratchés comme "Lencorcism" ou "Funcrush Scratch", tous deux produits par DJ MR Len, qui modèrent l'austérité de l'ensemble. Finalement, sans être certain que la scène rap indépendante à laquelle ils sont associés connaîtra le même destin que son équivalente rock, Company Flow ne souffrira vraisemblablement pas de ses partis-pris radicaux, et gagnera sûrement sa place au sein du très restreint panthéon du hip-hop.