Pourquoi sortir un album de Black Elvis si peu de temps après celui de Dr. Dooom (Black Elvis et Dr. Doom sont deux des différentes personnalités de Kool Keith) ?

Les deux viennent ensemble, de plus, en ce moment les rappeurs sortent trois ou quatre albums par mois, et j’ai décidé de faire la même chose, il faut que je reste sur le marché en permanence.

En quoi l’album de Black Elvis va-t-il être different de celui de Dr. Dooom ?

Sur Dr. Dooom, Kutmaster Kurt et moi nous occupions de la production, alors que je suis tout seul sur Black Elvis. Black Elvis c’est en quelque sorte le frère jumeau sympathique de Dr.Dooom, il est dans des délires spaciaux (l’album s’intitule Lost in Space NDR) alors que Dooom est plutôt méchant, c’est un MC cannibale, il aime voir des corps tomber. Avec Black Elvis, c’est la première fois que je m’occupe d’un album entièrement tout seul… je l’ai réalisé a Philadelphie, alors que Dr.Dooom a été fait en Californie, donc dans un état d’esprit différent. L’album de Black Elvis est plus funk. Beaucoup de critiques tentent de comparer ma musique, mon son avec ce qui se fait dans le hip-hop en ce moment, les gens ne comprennent pas ma musique, et ils ont tendance à dire qu’ils n’aiment pas ce qu’ils ne comprennent pas.

Black Elvis Lost in Space devait sortir chez Ruffhouse/Columbia, mais le label ferme ses portes, sous quelle maison de disque l’album va-t’il finir par sortir ?

Lost in Space sortira directement chez Columbia.

Qu’advient-il de tes protégés, Motion Man (alias Noggin Nodders) et Sir Menelik (alias Cyclops 4000 et Scaramanga) ?

Je crois que Motion Man est sur le point d’obtenir une signature quelque part, j’espère pouvoir collaborer à son album. Et puis le projet des "Masters of Illusion" dont lui et moi font partie va aussi bientôt sortir. Pour son solo je crois qu’il a prévu différents producteurs, j’espère qu’il y aura de la place pour moi. En ce qui concerne Sir Menelik je n’ai pas eu de ses nouvelles depuis longtemps. A vrai dire ca fait à peu près un an que lui et moi ne nous somme pas parlé. Je crois qu’il fait ses affaires sur Rawkus en ce moment. Beaucoup de rappeurs, tout au long de ma carrière, m’ont utilisé comme tremplin pour rebondir sur leur propre carrière solo, prendre leur propre chemin. Ca ne me dérange pas vraiment, j’ai toujours invité des rappeurs inconnus sur mes albums, certains arrivent à percer, d’autres pas. Beaucoup de gens auraient tenté de garder leurs protégés avec eux, a l’aide de deals de productions, à notre place. Nous ne voulons pas nous engager avec qui que ce soit, on a toujours invité des gens histoire de leur rendre service. On n’a jamais voulu se lancer dans la signature de contrats, ou quoi que ce soit, s’il y avait un deal entre nous et nos « protégés », c’était un deal moral, je n’ai jamais aimé tenir les gens en laisse. Peut être qu’un jour je découvrirai un groupe que je jugerai vraiment proche de moi et avec lequel je m’engagerai plus.

Peux-tu expliquer au public français ce que représentent les différentes personnalités de Kool Keith ?

Kool Keith c’est le gars cool qui porte des casquettes de baseball, de beaux habits bien propres, du Tommy Hilfiger. Black Elvis c’est le gars légendaire, il est comme Elvis Presley, et il est plutôt du genre à porter des jerseys de hockey. Dr Dooom c’est le méchant cannibale, il est très particulier, dans un délire très gore, il aime bien porter des habits de couleur vive, du vert, du orange. Big Willy Smith est comme un "pimp", un maquereau de Chicago, son truc c’est de porter des chapeaux. Reverend Tom est un prêtre, et Rythm X c’est un gars avec la tête rasée, qui porte des lunettes rondes. Il s’agit réellement de personnalités complètement différentes.

Qu'en est-il de Dr. Octagon, est-il mort pour de bon ?

Octagon est mort en effet (il se fait tuer par Dr. Dooom au tout début de l’album de celui-ci, NDR), cet alias là commençait à faire de l’ombre aux autres, il prenait trop d’importance, certains de mes fans ont mal interprété l’album d’Octagon, ils ont pris ça comme un virage dans ma carrière, alors que c’était juste un projet sur lequel j’ai travaillé à un moment précis. Les gens ne parlaient que d’Octagon, il a fallu expliquer a tous ces nouveaux fans que je ne pouvais pas jouer les Dr.Octagon tout le temps. Je suis quelqu’un de naturellement bizarre, je n’ai pas besoin de revêtir le costume de Dr.Octagon et de me forcer à parler de trucs médicaux pour exister… les autres personnalités comme Rhythm X ou Black Elvis ont a s’exprimer elles aussi. Octagon a beaucoup plu a toute une catégorie de fans, les asiatiques, les étudiants dans le délire hi-tech, les skateboarders, mais il y a beaucoup d’autres catégories de fans à toucher pour moi, je ne pouvais pas me limiter à Octagon.

Y aura-t-il d’autres albums de Kool Keith ou de Doctor Dooom par exemple, ou bien chaque personnalité aura un seul album pour s’exprimer ?

Je crois que j’ai réellement trouvé ma voie avec Black Elvis, c’est le personnage le plus développé que j’ai incarné jusqu'à présent. Mais je me méfie de l’industrie du disque, c’est pour cela que je suis toujours prêt a inventer de nouvelles personnalités à exploiter.

Pourquoi avoir choisi Pen & Pixels (la boite de design graphique qui s’occupe de réaliser toutes les si belles pochettes des disques de No Limit Records) pour la pochette de Dr. Dooom ?

J’ai choisi Pen & Pixels parce que j’en avais marre d’aller à toutes ces sessions photos, où il faut payer le photographe, le développement, les pellicules. En plus de cela le photographe tente toujours d’apporter sa touche personnelle, il veut modifier ton image, et au bout du compte la photo ne te représente pas vraiment. Les photographes et les stylistes se laissent emporter dans leur boulot… je n’ai pas besoin d’un styliste pour me dire ce que je dois porter, j’achète tellement de nouveaux habits tous les jours. J’ai fait appel à Pen & Pixels, je savais qu’ils pouvaient faire une couverture d’album qui me représente et qui soit effrayante à la fois. J’ai pris une photo de moi-même, je leur ai envoyé en leur disant ce qu’ils avaient à faire avec, et ils ont fait leur boulot tout simplement. J’aime bien ce qu’ils font pour No Limit, c’est amusant et distrayant d’aller dans les magasins de disques et de voir toutes ces pochettes.

Dans l’album de Kool Keith Sex Style tu disais être fatigué de la scène new-yorkaise et de tous ces gens qui essayaient de copier ton style, quelle est ta vision sur la scène hip-hop en général, aujourd’hui ?

Ca ne me dérange même plus à la limite. Aujourd’hui tout est tellement faussé, le hip-hop est formaté et si un artiste décide de ne pas avoir un son typiquement new-yorkais, pour aller vers un son plus universel, il se fait systématiquement descendre. Les new-yorkais sont refermés sur eux mêmes, et c’est là que toutes les critiques prennent leurs décisions. Et ces mêmes critiques auront toujours une remarque négative à faire sur ce qui est nouveau et créatif. Par exemple, si tu es dans le R&B il faut que tu sonne comme Teddy Riley où Timbaland, les gens te comparent toujours à ce qui est déjà sorti. Je n’ai pas grandi avec le Jazz, je ne peux pas faire ce que fait Premier, ce n’est pas mon rayon, il le fait très bien, moi mon son est différent.

Quel regard portes-tu sur l’Europe, sa scène hip-hop, l’industrie pornographique, les jeunes filles européennes ?

L’Europe à beaucoup changé depuis les années 80, je suis allé en Europe récemment, et c’est en train de devenir comme les Etats Unis, tout est commercialisé, tous ces groupes de R&B se font signer, alors qu’avant l’Europe était purement underground. J’ai vu trop de campagnes publicitaires pour des sales groupes de R&B en Europe, l’esprit hip-hop n’est plus mis en avant. Ca prouve bien que c’est un phénomène global qui ne touche pas seulement les Etats Unis. Deborah Cox, Jennifer Lopez, Kelly Price, on voit tout le temps les mêmes têtes sur les affiches, partout dans le monde, et c’est dommage. Sinon les européennes sont très différentes des américaines, pareil pour les films pornographiques, le porno européen est cool, les filles sont plus excentriques… beaucoup de jeunes européennes viennent travailler à New York et en Californie… elles sont très différentes des filles d’ici.

Roger Troutman du groupe Zapp, récemment décédé, a participé à un morceau de l’album de Black Elvis, comment s'est passée la collaboration ?

C’était un grand honneur que d’avoir l’occasion de travailler avec lui, il était l’une de mes majeures influences. Son décès à vraiment été très tragique, surtout que je me suis rendu compte que lui et moi avions beaucoup de choses en commun, par exemple, en studio je l’entendais parler au téléphone, et s’embrouiller avec différents agents et maisons de disques, c’est le genre de trucs qui m’arrivent tous les jours et auquel je peux m’identifier facilement.

Pour finir, à quand un nouvel album des Ultramagnetic MCs ?

On y travaille, on y travaille, vous verrez bien.