Le signe le plus évident de ce triomphe est évidemment la consécration du label Rawkus. A considérer la couverture dont la compilation Soundbombing Vol. II a bénéficié, on imagine mal que le premier volume ne soit sorti qu’un an et demi plus tôt. Bénéficiant de l’excellent accueil reçu en 1998 par Black Star, le label new-yorkais a conjugué succès commercial et critique avec les albums de Pharoahe Monch (Internal Affairs), de the High & Mighty (Homefield Advantage), et plus encore avec le Black on Both Sides de Mos Def, définitivement le rappeur le plus coté de cette fin de décennie.

Rawkus, déjà sur le déclin, n'a cependant jamais cessé d'être l’arbre qui cachait la forêt ; d’autres labels ont aussi été particulièrement actifs. Fondle’em, par exemple, a livré son premier classique longue durée avec l'Operation Doomsday de M.F Doom. La Bay Area n’a pas non plus été en reste : alors que Stones Throw sortait les albums de Peanut Butter Wolf, de Lootpack et un EP de Rasco, Solesides, transformé en Quannum, proposait celui de Blackalicious (Nia) ainsi que le collectif Spectrum. Sans oublier le label indépendant le plus étrange et désormais le plus en vue de ces années : Anticon et sa compilation Music for the Advancement of Hip Hop.

L’arrivée au grand jour (en cours ou réalisée) de tous ces artistes a semble-t-il redonné un coup de jeune à des artistes plus établis. C’est ainsi que The Roots, groupe respecté mais commercialement pas si fructueux, a sorti un Things Fall Apart qui a remporté l’adhésion quasi unanime de la critique et du grand public. Plus étonnant, on a vu aussi quelques vieux briscards, promoteurs des débordements et de la misogynie aujourd’hui montrés du doigt, retrouver des couleurs. Tandis que Slick Rick réussissait un énième come-back (The Art of Storytelling), Dr. Dre prouvait avec un brillant deuxième album qu'on l’avait sans doute enterré trop tôt.

Ce renouveau est clairement lié à l'autre phénomène de cette année 1999 : l’apparition croissante d’artistes blancs dans le monde du hip hop. Alors que le rap avait jusqu’ici limité son panthéon à 3rd Bass et aux Beastie Boys, il a finalement vu s’imposer avec fracas, relais de MTV et de Dr Dre aidant, le vilain petit canard blanc Eminem. Plus ou moins dans l’ombre, 1999 aura aussi été une année faste pour the High & Mighty, 7L & Esoteric, DJ Shadow, Peanut Butter Wolf, El-P de Company Flow (même s’il déteste que sa couleur soit objet de discussion), DJ Vadim, les Swollen Members, la quasi intégralité d’Anticon et tant d’autres, tous blancs et tous artistes indés. Une arrivée qui a valu quelques débats aux relents de racisme, anti-blanc cette fois, mais qui témoigne de la vitalité du genre.

L’année 1999 a aussi vu s'accroitre l'internationalisation du hip hop, notamment vers les voisins les plus immédiats des américains : les canadiens. Ses derniers mois ont été l’occasion de la sortie du Ice Cold de Choclair, premier canadien lancé avec les moyens marketing et logistiques d’une major. Cet album à moitié raté ne doit pas masquer trois autres issus du même pays et parmi les meilleurs de l’année : ceux de Buck 65 de Halifax (Vertex), des Swollen Members de Vancouver (Balance) et de Saukrates, lui-même producteur de Choclair. Au même moment, les vétérans Dream Warriors sortaient une compilation et accompagnaient les anglais de the Herbaliser sur "Road of Many Signs", l’un des meilleurs singles de l’année.

Le hip hop anglais, longtemps laissé pour compte, retrouvait lui aussi des couleurs. Après plusieurs autres labels britanniques, Ninja Tune ouvrait sa propre division hip hop, Big Dada, sur laquelle sortait l'album du premier MC anglais digne de ce nom, Roots Manuva (Brand New Second Hand). L'anglo-russe DJ Vadim, issu lui-même de la même maison, créait également son label, Jazz Fudge, et présentait ses Isolationists ainsi que les Swollen Members déjà cités. Sans oublier les incursions de plus en plus franchement rap de la scène post-rave de Manchester, dont le meilleur produit serait cette année le Cold Water Music de AIM.

Quant à la France, puisqu’il faut en parler, production pléthorique oblige, elle reste indéfectiblement la patrie du rap de pacotille. On a bien voulu nous faire croire, à un moment, qu’un groupe, les Saïan Supa Crew, étaient à eux seuls les Black Star (pour les thèmes), les Arsonists (pour la chorégraphie) et les Rahzel (pour le beatboxing) français. Simple opération marketing bien montée au profit de quelques pistonnés : le résultat s’est avéré bien décevant, à peine au-dessus de l’ensemble de la production locale. Heureusement, toujours dans l’ombre, d'autres français plus talentueux s’agitaient, dont on devra reparler très prochainement.