Rhymesayers :: 2000

Alliez ça à un flow et une écriture d’une qualité remarquable et à un timbre de voix doux et suave, vous obtiendrez ce qui a été un des secrets les mieux gardés du hip-hop indépendant...

Pourtant, le Lucy Ford LP, dernier album de son groupe Atmosphere, a été à la quasi-unanimité une des grosses déceptions de l’année 2001 : la sensibilité de Slug s’est parfois transformée en mièvrerie, et la subtilité des productions des Rhymesayers en niaiserie. C’est donc le moment ou jamais de se replonger dans le Sad Clown Bad Dub II, compilation de morceaux enregistrés ici et là. Pas la peine de chercher à se procurer l’original : comme il l’explique sur "Hungry Fuck", "Fuck your criticism about the sound quality, this is not an album, the sole intention is to eat better while on the road". Uniquement disponible lors de ses concerts américains, le CD est toutefois assez facile à trouver sur les logiciels d’échange de MP3.

Venons-en aux morceaux eux-mêmes : ce que fait Slug n’est plus vraiment des morceaux de rap avec un MC sur un beat, mais de vraies chansons : déjà, les instrus aux sons jazzy sont très mélodiques (on admire le piano et la flûte de "Running with Scissors", ou les guitares acoustiques très inspirées sur "Sad Clown" et "Hungry Fuck") et d’une régularité surprenante pour une compilation. Et Slug ne débite pas son texte, mais raconte des histoires, des vraies avec un début un milieu et une fin : histoires d’amour, mais aussi de simples tranches de vie comme dans "Fashion Magazine", un simple aperçu des émotions qui s’agitent dans la tête de cette femme qui tente de se concentrer sur le magazine en question. Ou encore dans "Body Pillow", les rapports ambigus qui se posent avec les filles qu’il a aimées et qui sont désormais de simples "ex-lovers and best friends". Ou encore l’ironie du Slug qui en a marre de tout ("Fuck everybody !") sur "Hungry Fuck".

Slug a trop d’histoires du quotidien à raconter, mais il ne sombre jamais dans le bête, le doucereux : sa voix est trop précise et son écriture trop méticuleuse, il laisse passer trop d’émotions dans chaque mot qu’il articule pour qu’on puisse ne pas y croire, et, loin de proférer des vérités, il s’implique toujours tout en gardant une certaine distance amusée et attendrie. Plutôt qu’un donneur de leçons, il nous donne juste, comme il le dit dans "Running With Scissors" : "I think you need some advice on how to think yourself", des conseils pour penser par nous-même.