Jive :: 1993 :: acheter ce disque

Sur ce disque, tout commence de façon abrupte par l’incroyable basse de "Let’ em Know" parcourue épisodiquement d’une guitare funk et d’un saxophone erratique. En quelques secondes, le ton entier du disque est donné. Les Souls of Mischief puisent abondamment dans le patrimoine des musiques black. Comme beaucoup de gens à l’époque, mais avec une couleur et un ton qui garantissent à l’album une pérennité inouïe : pas un seul son de 93 'till Infinity ne sonne aujourd’hui daté, leur jazz ne ressemble en rien au jazz rap de la Côte Est, leur funk est sans rapport avec le g-funk triomphant alors en Californie, leur région d'origine. Le début de l'album frappe fort, mais encore, ce n'est rien comparé au titre suivant, un "Live and Let Live" plus extraordinaire encore, surtout quand à l’issue de couplets linéaires surgissent de formidables trompette et piano, jazz toujours.

Des variantes surgissent aussi, comme un "That’s when ya Lost" nettement plus sombre, et l’hallucinant "A Name I Call Myself", sorte de funk faux et sous prozac, tous deux morceaux produits par Del. Même veine funk pour "Disseshowedo", moins surprenant et nettement en dessous des quatre incroyables titres précédents, tout comme "What a Way to Go out", malgré sa rythmique d’enfer et sa flûte légère. Assurément, on touche ici le ventre mou de l’album. Mais les choses sérieuses recommencent aussitôt avec un "Never no More" à nouveau très jazzy, et plus encore avec le titre éponyme de l’album. Que dire en effet d’une merveille décisive et irrémédiable comme "93 ‘till Infinity", le morceau, sans paraître ni pédant, ni insistant, ni grandiloquent ? Se contenter peut-être de décrire le fond sonore en filigrane interrompu par quelques cuivres aigres, et dominé par le flow des Souls of Mischief, plus inspiré que jamais. A titre personnel, l'un de mes cinq titres hip hop de tous temps. Carrément.

Difficile de redescendre sur terre après un tel titre. Et pourtant, même nettement inférieur, les morceaux suivants sont bons. "Limitations" bénéficie du renfort de Casual, et plus encore de celui de Del, qui vient animer de son flow maniéré caractéristique un rap sans cela un peu lassant ("MC’s should know the limitations" précise-t-il fort à propos). "Anything can Happen" tutoie quant à lui le bonheur grâce à ses faux airs de BO et d’ingénieuses variations. Même chose pour le rapide "Make your Mind up", sa contrebasse et sa voix féminine nimbée. Le seul regret, ce sont les choeurs de "Batting Practice", loin du niveau des titres précédents et du saxophone vespéral de "Tell me who Profits".

Comme souvent dans le rap, le premier album des Souls of Mischief demeurera leur meilleur. Les quatre protagonistes ont mal passé 1993, mais 93 'till Infinity a sa place assurée dans l'infini. Un classique reconnu sans mal par tous, rappeurs traditionnels ou indépendants, et qui passe à deux cheveux de la perfection. Sans ne plus rien livrer d’autre que des demi déceptions, les Souls of Mischief ne renieront pourtant jamais leur approche, ne se livreront à aucune compromission et demeureront l'un des groupes du passé les plus respectés lorsque surgira la vague hip hop indépendante. Il n’y a qu’à jeter un œil sur les remerciements de la pochette (y apparaissent Saafir, Organized Konfusion, Bobbito, entre autres) pour comprendre à quel monde le groupe, même célèbre, appartenait déjà.