Aftermath / Interscope :: 2000 :: acheter ce disque
Entre les deux options citées plus haut, rupture ou continuation, l'album ne tranche pas vraiment. Divers, composite, il reste conforme à l'imagerie post-adolescente white trash à la base du foudroyant succès du rappeur. Et laisse la part belle au son et à l'attitude gangsta, donnés pour mort quelques mois plus tôt, jusqu'à ce que le deuxième album de Dr Dre ne remette les pendules à l'heure. Le génial producteur signe d'ailleurs une grande partie des compositions du Marshall Mathers LP, accompagné en fin de course par tout son crew : il n'y a qu'à écouter le formidable "Bitch Please II" (un remix du "I", présent sur le dernier Snoop Dogg) pour s'imaginer à nouveau conduire une décapotable sur Long Beach, des putes aux gros seins à l'arrière et un flingue dans la boîte à gant, comme vers 92-93, au meilleur temps du g-funk.
Pas de répit non plus question débordements verbaux, caractéristiques de ce rap là. Eminem livre ici un lot effarant d'abominations sexistes et homophobes, qui atteignent un paroxysme sur l'impressionnant "Kim", où le rappeur, la voix au bord de la rupture, délivre un effroyable simulacre de violence conjugale qui se dénoue par le meurtre de sa propre femme. Premier degré ou mise en scène ? Le rappeur, habile, ne manque pas de maintenir l'ambiguité sur "Criminal", dernier titre de l'album : "Des tas de gens pensent que ce que je dis sur mes disques, je le fais vraiment dans ma vie, que j'y souscris. Quand je prétends vouloir tuer quelqu'un, que j'y crois vraiment et que je compte le faire. Si vous croyez tout ça, je vous bute. Vous savez pourquoi ? Parce que je suis un criminel".
Par moments, Eminem se livre. Mais pour aussitôt contredire ses propos et brouiller les pistes. Le titre de l'album (son véritable nom), le single "The Real Slim Shady" et le fait qu'il produise une bonne partie de celui-ci, pour un son très différent de Dre, est donc tout à fait significatif. Eminem semble décidé à se mettre à nu, à revenir sur un passé douloureux (des vieilles photos d'enfance émanent le coeur du livret du CD), à se lancer parfois dans un délicat exercice d'introspection.
Et ça marche. Le résultat le plus saisissant de ce travail est assurément "Stan". Eminem y imagine les lettres d'un fan aux tendances auto-destructrices, désespéré de n'avoir aucun feedback de son idole. Et quand le rappeur, trop tard, décide de lui répondre, il le fait sur un ton sobre, humble et paternaliste. Ajouté à cela une guitare accoustique et un magnifique refrain féminin interprété par Dido, et l'on tient là la grande oeuvre, la merveille, le sommet qu'Eminem aura du mal à surpasser.
Tant les rodomontades que l'introspection d'Eminem peuvent paraître forcés. Souvent à juste titre. Le rappeur abuse d'effets stylistiques avec la discrétion et la subtilité d'un éléphant (sa voix sur "Kim", la guitare électrique de "Marshall Mathers", etc...). Mais ça fonctionne, ça résiste à l'épreuve des écoutes répétées. A moins donc d'être trop snob pour se joindre à la foule et pour acheter un album écoulé à 1,7 millions d'exemplaires dès sa première semaine de vente, The Marshall Mathers LP est finalement le grand disque que, pour une fois, vous pourrez vous procurer sans mal dans la première crèmerie venue.