Big Dada :: 1999 :: acheter ce disque
En matière de emceeing, Roots Manuva en remontre effectivement à beaucoup : voix d’un grave inoubliable, phrasé net et précis, succession de considérations sociales pertinentes et de profonde introspection. A cela s’ajoute un réel talent de poésie et d’évocation, et un sens hallucinant de la formule rarement perçu de ce côté-ci de l’Atlantique ("I don’t wanna be, I am !" en guise d’anthologie). Bref, l’homme est à intégrer d’emblée dans le panthéon des grands du genre.
Roots Manuva aurait pu s’en tenir là, et se contenter de satisfaire ses compatriotes par ses prouesses au emceeing. Mais il se trouve que le son de Brand New Second Hand tient lui aussi la route. Effroyablement sombre, à faire passer les plus gothiques des rappeurs underground pour la Compagnie Créole, il recourt abondamment aux sons de cordes synthétiques, à quelques réminiscence électro, et aux expérimentations de ses voisins de Ninja Tune (la maison mère de son label Big Dada). Sans évidemment renier les musiques de son île d’origine.
Reggae et ragga, se taillent une bonne part de l’album, sans que cela paraisse ni abscons ni artificiel. Car plutôt qu’effacer ou renier les musiques noires jamaïcaines, qui ont toujours supplanté le hip hop au Royaume-Uni, Roots Manuva les y intègre. Le passage abrupt du rap austère de "Movement" au ragga échevelé de "Dem Phonies" ne surprend qu’une fois. Par la suite, c’est tout naturellement que les deux genres se fondent en un seul, sur 'Inna', 'Baptism' ou 'Strange Behavior' par exemple, sans se limiter à l’exercice de style.
Certes, un bon album de rap anglais n’équivaut pas encore à un classique hip hop américain. La froideur extrême de certains titres de Brand New Second Hand ("Sinking Sands", "Wisdom Fall") fascine sans véritablement séduire. Mais l’excellence de "Movement", "Jungle Tings Proper", "Soul Decay", "Strange Behaviour", "Clockwork" et de "Motion 5000" démontrent que Roots Manuva a très largement dépassé le stade de simple espoir.