Quand et pourquoi as-tu commencé à faire de la musique ?
Je ne fais pas de musique, je donne vie à la musique. Je passe des disques, et de temps en temps je fais le con avec des claviers, mais j'aide surtout les idées à se matérialiser, c'est tout. La plupart du temps, ces idées ne sont pas les miennes du tout. Je pense aider les gens à devenir plus créatifs en fait, et plus "entertaining" - peut-être parce-que je ne suis ni l'un ni l'autre, je ne sais pas. J'ai commencé à m'amuser avec protools en 95, j'étais tout dégoûté du rap et je voulais rendre le hiphop meilleur, apporter de l'intelligence dans le rap et tout ça…mais maintenant je connais la vérité. Tout est pour les filles. Tout est fait pour impressionner les filles. Il n'y a pas d'autre raison. Et je ne parle pas de r&b que les pop girls peuvent écouter à la radio. On doit quand même rester vrai, mais soyez conscient d'une chose, si ça (la musique) ne permet pas à une personne - si ça ne permet pas à au moins un couple de tirer son coup - je ne suis pas down. Jeep Jack a.k.a. tout le monde tire son coup.
Et c'est là que les Slow Jams, interviennent ? Quel est le concept des Slow Jams de Jeep Jack ? Pourquoi as-tu décidé de sortir ce projet plutôt qu'un truc rap ?
Le rap m'ennuie… en tout cas ces derniers temps. Tout le monde veut faire du hiphop traditionnel et cela ne rime à rien si ce n'est à du hiphop traditionnel. Je me fiche de savoir à quel point un mc est fort et combien de métaphores il peut utiliser pour décrire la façon dont il va blesser et humilier le wack mc imaginaire, cette merde n'a aucun rapport avec une partie de jambe en l'air. Et les gens pensent que je suis bizarre parce-que je leur dis de faire un morceau sur le laçage de leurs chaussures ou sur le vieux ventilateur encastré dans la fenêtre ou sur n'importe quoi en fait. Je ne comprends pas pourquoi tant de personnes ont envie de faire du rap sur le rap ou du rap sur la façon dont quelqu'un critique les gens qui rappent sur le rap, ou encore du rap sur le player ou du rap anti-player, ou du rap "underground"… ou n'importe quel style de rap que tu peux classer dans une catégorie précise… on dirait que les rappeurs ont peur de porter du rose par peur que quelqu'un dise qu'ils sont gay.
Ce cd Slow Jams n'est rien du tout en fait. Ce ne sont que des vieux samples (et quelques récents) que je passe en boucle. A vrai dire, je l'ai d'abord fait pour libérer de l'espace sur mon disque dur, en enlevant tous les samples sans intérêt qui étaient trop *@# pour du rap, mais c'est devenu intéressant quand j'ai demandé à Lloyd de jouer à l'animateur radio. Alors j'ai décidé de développer le projet, le cd est conçu pour te permettre de passer à l'acte. Il est construit pour que tu puisses prétendre qu'il s'agit d'une émission de radio et non d'un cd, mais ce n'est pas obligatoire parce-que la pochette est marrante et jolie et tu pourrais faire "eh, regarde cette pochette" et cela fera probablement sourire ta conquête éventuelle. Alors ça commence avec des sélections bizarres et légères afin de pouvoir créer un dialogue, une façon de briser la glace, tu vois? Ensuite ça devient un peu sexy avec des trucs des années 70 pour la stimulation érotique en plein air, mais ça reste subtil. Ça ne semble pas subtil, mais c'est pour ça que ça l'est. Ça sonne comme de la musique de vieux pornos, avec l'animateur qui parle de l'atmosphère romantique dans les studios de Roxbury et du fait qu'il y a de l'amour dans l'air et là tu te dis, ce gars a fait ce cd pour se faire des meufs. Mais oui, mesdames et messieurs, il a bel et bien tiré son coup. Mais ce n'est pas vraiment grâce aux morceaux sexy, c'est la continuité, la progression du cd du début à la fin, qui te permet de conclure.
J'ai conduit une série de tests avec différentes versions du cd, ça marche. La durée est de 60 minutes exactement, tout est pris en considération : du moment où la glace est brisée à la conversation intime qui mène au baiser, puis les préliminaires, le sexe, la pipe pt.II, le vrai sexe, jusqu'au moment où l'on se retrouve couché à poils en train de fumer des blunts, et tout ça dans cet ordre (à peu près). Et le son est pourri. Et j'ai bossé dur pour que ce soit ainsi. Tu vois, tu n'es pas censé écouter ce cd, tu es juste censé l'entendre (peut-être) quand tu le passes. Ce n'est pas un truc fait pour le casque, ce n'est pas un truc du genre "eh écoute ce cd", c'est de la musique d'ambiance pour les couples romantiques du nouveau millénaire.
C'est intéressant, tu me dis que le "rap sur le rap" t'ennuie, pourtant le Yukonn fait parfois du "rap sur le de rap"… alors qu'est-ce qui se passe, Jeep Jack?
Eh, tu l'as dit. Et je ne suis pas pour. Et tu en entendrais sûrement parler si le Yukonn était interviewé un jour et mon nom était cité. Mais c'est mon frère là, The Yukonn MC. Et c'était juste un projet d'été entre deux potes, et je savais dès le début que je pourrais m'en servir comme exemple de ce qu'il ne faut pas faire. Mais comment pourrais-je dire qu'il ne faut pas le faire si je n'ai pas d'abord fait l'erreur moi-même. Et c'est hallucinant comme on peut me prendre la tête avec cette question que tu viens de me poser. Tous les rappeurs avec qui je parle ont dit la même chose, genre "pourquoi tu ne peux pas faire des trucs comme ça avec moi ?" Et à chaque fois je leur dis, parce-que ça pue, mais j'ai dû faire du bon vieux hiphop traditionnel à un moment, et beaucoup trop de personnes de la scène hiphop d'ici pensent que je suis bizarre, il me semble. C'est pour cela que j'avais pensé qu'il s'agissait du moment propice pour faire ce genre de truc.
Je n'ai eu aucune influence sur le fond de l'album du Yukonn, uniquement sur la forme. Et j'ai uniquement dit que je le ferais parce-que le Yukonn était tellement bien organisé. Il avait planifié tout le projet : les lyrics étaient écrites, les ambiances et les couleurs choisies, les points à améliorer déterminés, et une idée précise de ce à quoi le projet final ressemblerait. A cette période, personne ne venait vers moi avec un travail planifié comme ça, et c'était tout ce que je demandais. Il faudrait demander au Yukonn de dresser la liste des remarques que je lui ai faites constamment, j'étais super lourd, j'en suis sûr, mais bon, tout ça c'est bien drôle.
P.S. J'aime bien le projet du Yukonn. Quand j'en parle, on pourrait croire que je le trouve nul. Ce n'est pas le cas mais bon, ce n'est pas vraiment un album. C'est juste un cd qui contient les trucs sur lesquels on travaillait pour le cd… et ça doit vous sembler étrange. Le cd ne touche à rien d'autre qu'au hiphop, et pour moi cela n'a pas beaucoup de sens. En fait, ça pourrait avoir un sens, sauf qu'il semble que tous les disques de rap "underground" parlent de la même chose, et je ne pense pas que les trucs que je fais devraient se retrouver dans cette sous-catégorie, mais c'est chaque fois le cas, alors il faut que j'y pense parce-que c'est bizarre. Je veux dire, tout ce que j'écoute c'est Cash Money, du gangsta rap de L.A. et Otis Redding. Et puis Minor Threat, comment se fait-il que mes cd soient comparés à Soundbombing ?
C'est bien, on peut parler des rappeurs maintenant. Comment as-tu rencontré tous ces gars? Microft, Yukonn, Elation, Sam Lover, GMT, Conzentrate, Ace Murda et compagnie…
Tout s'est fait naturellement. Ce sont tous des amis d'amis. Je n'aime pas travailler avec des gens que personne autour de moi ne connaît, il y a beaucoup de "haters" à Boston, surtout à Roxbury. Et la plupart du temps, on ne fait pas de musique avant de bien se connaître d'être ami. Parfois il arrive que quelqu'un amène un ami à une session de studio et qu'à la fin cette personne se mette à faire des trucs avec moi pour faire avancer ses projets. Mais c'est un cas de figure assez difficile pour moi parce-que j'ai déjà beaucoup trop de projets en cours, et la seule chose qui puisse me pousser à travailler sur de nouveaux trucs est de me sentir redevable envers un ami ou un truc dans le style.
Ces derniers temps, je me suis retrouvé dans des situations difficiles en raison de l'état dans lequel se trouve le planning des sessions de studio. J'essaie de finir tous les projets en cours avant de commencer à travailler sur de nouveaux trucs et ce n'est pas une mince affaire, mais je continue à rencontrer de nouvelles personnes et à revoir des personnes avec qui j'ai travaillé auparavant et qui sont impatientes de faire des nouveaux trucs. Malheureusement je me dois de remettre ces offres à plus tard tant que les autres projets ne sont pas terminés, mais ensuite on me demande des dates et j'en fixe, ce qui est une très mauvaise idée puisqu'il est impossible de prédire combien de temps sera nécessaire pour finir les projets en cours. C'est pourquoi je me retrouve dans des situations embêtantes qui réduisent considérablement mes heures de sommeil et qui me rendent désagréable, ce qui me force à prendre des raccourcis. Donc ma relation avec les rappeurs est quelque peu compliquée en ce moment, mais ce sont tous mes potes donc tout devrait pouvoir s'arranger.
Microft, je le connais depuis des années, c'est un ami proche et une personne sans qui il m'aurait été impossible de faire ce que je fais aujourd'hui. Il ne se rend pas compte comme je l'apprécie lui, et tout ce qu'il a fait pour moi. D'un côté, j'aimerais ne pas lui prendre la tête comme je le fais, mais d'un autre je suis heureux de le faire parce-que c'est un des lyricistes les plus forts que j'ai entendu jusqu'à maintenant, et je pense que je l'ai aidé, au moins un tout petit peu, à arriver à ce niveau.
Yukonn, c'est lui que je connais depuis le plus longtemps, on était pote en high school. C'est cool parce-qu'on ne se vexe jamais quand un de nous fait une remarque à l'autre, parce-qu'on a une longue histoire et un lien très fort.
Elation, j'ai fait sa connaissance par l'intermédiaire de Arap de Silk Vision il y a 3 ou 4 ans. Je l'ai trouvé chelou la première lors de notre première rencontre. C'est un de mes meilleurs amis aujourd'hui. En plus il m'a aidé à faire mon premier disque (Spring Fever). Ce n'est pas rien.
Sam Lover, je l'ai rencontré en même temps que Microft, ils étaient tous les deux de bons amis de Noah Peffer, avec qui je partageais un appartement quand j'étais à l'université.
GMT, je les connais parce-que je suis allé en high school avec plusieurs gars du groupe, mais j'ai beaucoup traîné avec Unity et Shakim ces dernières années, plus qu'avec le groupe entier, je n'aime pas trop travailler avec autant de personnes à la fois quand il y a des blunts qui tournent.
Conzentrate, je l'ai connu par l'intermédiaire de Elation. Malheureusement, il ne reste jamais installé au même endroit donc on arrive rarement à passer du temps ensemble. Il est fort.
Ace Murda, je ne le connais pas encore très bien, il a 13 ans, c'est le fils de la meuf d'un ami de mon voisin. J'adore travailler avec lui, mais c'est difficile parce qu'il n'a que 13 ans et je ne veux pas être trop sévère avec lui et lui rendre les choses plus difficiles qu'elles ne le sont déjà.
Quels sont ces projets que tu essaies de finir avant de commencer à travailler sur de nouvelles choses ?
Eh bien, il y a environ trois morceaux avec The Storytellers, trois autres avec Ace Murda, puis cinq avec El Apocalipsis (et je ne maîtrise pas encore le rythme denbow). Il y a quatre ou cinq morceaux avec Shakim (mais il a disparu), et puis il y a un morceau important avec Silk Vision, deux avec Sam Lover. Un maxi du Yukonn devrait sortir mais nous n'avons pas encore enregistré le bonus track (mais je crois que Insight va le faire), il y aussi quelques morceaux de Unity que je n'ai pas terminés. En plus, je dois faire de l'ordre dans mon ordinateur, j'ai 30 ou 40 paquets à envoyer depuis très longtemps, et tout ce dont j'ai envie c'est de travailler sur des nouveaux trucs. Le temps est mon ennemi.
Quelles sont les sorties prévues pour 2001 et 2002? Le 12" The Run devait sortir il y a un moment déjà mais il semble que ce ne soit plus d'actualité… alors qu'est-ce qui se passe? Et tu pourrais en profiter pour faire une déclaration officielle au sujet du 12" Spring Fever car je sais que vous avez eu une réunion à ce propos l'autre jour…
Je ne sais pas ce qu'il en est des "sorties". Beaucoup de trucs sur lesquels je travaille sont juste prévus pour des démos, des concerts, c'est une façon de montrer aux gens ce que nous faisons. Pour l'instant, les projets de Ace Murda, El Apocalipsis, Shakim et Unity ne sont que des collections de trois morceaux, tu vois? J'essaie de les préparer à enregistrer des singles ou en tout cas des morceaux qui seraient assez bons pour être sortis en maxi. Je n'ai plus envie de faire des cd en demi-teinte et personne n'a de bonnes idées, alors pour l'instant je me contente d'aider les gars à rendre leur truc plus carré. Il faut que ces gars créent quelque chose que des gens kifferont et qu'ils puissent vendre, et je dois dire que je n'achèterais pas la moitié des trucs sur lesquels je travaille. Je crois que je suis très difficile en ce qui concerne la sélection de ce qui est à classer dans la catégorie des "sorties". J'ai arrêté de bosser sur The Run peu après que Microft ait fait de même. On a eu quelques difficultés dues au fait qu'on était très critique par rapport à ce à quoi devait ressembler le projet dans sa finalité, et je crois que cela a été très frustrant pour lui. Donc on n'a jamais fini le truc. On doit encore réenregistrer le premier morceau de la face b, et puis on a même pas commencé à enregistrer le remix de The Run. Microft n'a pas aimé le remix que j'avais plus ou moins fini. Alors je ne sais pas. Je ne peux pas y dédier plus de temps si lui-même s'en fout. C'est mon pote, mais j'aime le travail d'équipe, tu vois ?
Et Spring Fever ? Mec, tout ce que j'ai à dire c'est fuck Recordpressing.com. Le truc s'appelle Spring Fever et voilà qu'on se retrouve le 8 juillet ou quelque chose comme ça et on vient à peine de recevoir les test pressings. Maintenant on doit attendre jusqu'au printemps 2002. Mais je vais faire tout mon possible pour que ça sorte au premier jour du printemps, et je ne veux pas parler du premier jour comme il est indiqué sur le calendrier. Je veux cette merde à la radio pour le premier jour de beau temps de l'année, c'est pour cela qu'il a été fait. J'espère juste que les djs aimeront le morceau.
Quoi d'autre ? J'ai commencé quelques trucs pour des nouveaux mix cd. Et si je pouvais avoir un peu plus de temps et d'argent, je pourrais facilement sortir une deuxième édition de ce cd de Jeep Jack (A Jeep Jack Affair). Mais j'ai également d'autres idées similaires auxquelles autant de personne pourraient participer, et puis j'ai des projets de grosse envergure, mais je n'ai ni l'argent ni le temps pour planifier le travail de tout le monde. J'essaie de concentrer les activités et de ne pas avoir besoin de qui que ce soit pour accomplir tout ce qu'il y a à faire, parce qu'en ce moment je suis dépendant de plusieurs personnes sur lesquelles je dois attendre, ce qui fait qu'il m'est difficile d'avoir un œil sur tout ce qu'il se passe et de déterminer ce qui est prioritaire et ce qui ne l'est pas…
Mais le projet de Sam Lover est un truc dont on peut se réjouir, en tout cas pour les gens qui aiment ce qu'il fait. Il s'est vraiment amélioré et ce qui a été prévu pour le cd est mortel. Il sera intitulé The Making of Sam Lover, tout le truc a déjà été planifié et la moitié des sons ont été arrangés, mais l'écriture devrait encore prendre un moment. Et puis DJ Frank White et moi allons prochainement commencer à travailler sur une série de mixtapes qui contiendront des exclus, des remix faits maison et plein d'autres trucs. J'espère que la première sera intitulée BBQ, mais avec tous ces projets en tête, j'imagine que rien ne sortira avant 2002, à moins bien sûr qu'une personne extérieure au crew se sente intéressée et désire sortir tous ces trucs sur lesquels nous avons déjà travaillé. Je n'ai ni le temps ni l'argent pour sortir des trucs moi-même pour l'instant, et puis il n'y a rien que j'aime assez pour le faire de toute façon.
Les multiples retards avec le pressage des vinyles, le manque de soutien financier, les trucs qui partent en couilles, les cd qui se perdent entre Boston et Paris… Est-ce que tous ces problèmes auxquels vous faites face sont ce qu'on appelle "paying dues" (travailler dur pour être reconnu) ? Penses-tu qu'il s'agisse de la galère par laquelle tous les artistes en devenir passent ? Ou est-ce simplement parce que vous ne savez pas comment gérer un business ? Ou alors êtes-vous simplement malchanceux ? Toutes ces frustrations peuvent-elles te forcer à abandonner la musique ? Ou te rendent-elles plus fort ?
1. Ouais, je bosse dur pour y arriver. Je travaille sérieusement avec ce matos digital depuis 1995. Voilà, on est en 2001 et je pense que je commence à peine à devenir bon, je n'ai pas le matériel pour être Dr. Dre mais je ghetto-fabrique ce qu'il faut pour y arriver et j'utilise toujours des synthés pourris de chez K-mart pour le faire.
2. Nique un artiste en devenir, je mange comme un roi (l'expression en anglais "starving artist" se traduit littéralement "artiste affamé"). Mais je n'ai pas encore fait d'argent grâce à la musique. Et ceci est dû au type de musique auquel je m'associe consciemment. Je n'essaie pas de me faire un nom au niveau commercial (j'essaie de rendre d'autres personnes célèbres, en espérant rencontrer de belles femmes au passage), et je travaille comme un artiste en devenir. Je suis allé dans une école d'art, je suis un artiste visuel, et là je me retrouve à passer mon temps à faire de la musique. Je n'essaie pas de faire ce que les gens veulent, j'essaie de faire ce dont les gens ont besoin, ou plutôt ce qu'ils veulent sans le savoir. Je pense beaucoup au style : les vieux styles, les nouveaux styles, les styles à la mode… et j'essaie d'ignorer ce que ces styles expriment, il faut que je le fasse ou alors je vais m'énerver parce que les gars parlent toujours de la même merde. Ouais, je crois que je m'éloigne de la question alors je vais finir le truc tout de suite : je ne sais pas ce qui est "cool", je ne suis pas particulièrement "cool", mais tu peux être sûr que je vais faire tout ce que "je" pense être "cool". Je crois que c'est ce qui fait que je suis un artiste en devenir. C'est ce qui fait que l'artiste est "en devenir", ignorer ce qui est "cool". Et puis les artistes en devenir ne sont jamais heureux d'être "en devenir", donc il faut bien qu'on se plaigne de quelque chose, ou alors on ne serait que des gars avec un hobby.
3. Non, je ne sais effectivement pas comment gérer un business. Je suis bien trop honnête et je donne beaucoup trop d'importance à mon amitié pour tous les gens avec qui je travaille pour pouvoir me faire de l'argent. Bon, bien sûr l'honnêteté ne devrait pas empêcher le bon déroulement d'un business, mais comment je pourrais faire de l'argent alors que tous les gens avec qui je travaille sont des amis, et que tous les gens avec qui je travaille sont fauchés ? J'avais quelqu'un qui m'aidait dans ce domaine mais maintenant il ne fait que me dire quand j'ai foiré, donc j'essaie encore de comprendre le truc… on verra si ça marche, hein?
4. J'ai beaucoup de chance: pas autant que certaines personnes, mais quand même beaucoup de chance.
5. Abandonner… C'est une chose à laquelle je pense souvent. Je ne crois pas avoir abandonné quoi que ce soit dans ma vie. Mais j'y pense beaucoup, parce que si les choses marchent ici, je m'attends à avoir un public, un groupe de gens qui s'intéressent à ce que nous faisons, et avec cette relation apparaît une responsabilité. J'y pense vraiment beaucoup parce que j'étais dans le graffiti à l'époque. On avait l'habitude d'aller peindre au moins deux fois par semaine, les sessions duraient la journée entière. C'était une véritable passion pour moi, tout ce que je faisais, à la maison et au boulot, c'était dessiner, faire des plans, des croquis… mais je m'en suis lassé.
Je ne sais pas ce qu'il en est du reste du monde, mais en tout cas ici aux States, les seules personnes qui s'intéressent au graffiti sont les graffeurs. Et les graffeurs sont exactement comme les gars dans le rap (on dit que tout ça c'est le hiphop, hein? Eh bien c'est vrai, le rap et le graf, c'est pareil, les mêmes démarches, les mêmes embrouilles, les mêmes merdes, la même façon d'obtenir le respect…). Imagine que mon audience soit composée uniquement de rappeurs, que les seules personnes qui s'intéresseraient à ma musique soient celles qui font la même. Bonjour la relation homo/testostérone. Il existe de nombreux points communs entre les deux (le graf et le rap) mais une chose très importante est que je ne me suis fait qu'une et une seule meuf grâce au graffiti. Si je montrais des photos de mes graffiti à ma grand-mère, elle me féliciterait sûrement, mais les seuls gens qui apprécient vraiment le graf dans la rue sont les graffeurs. Même les autres artistes ne savent pas comment apprécier les graffiti.
Mais la musique, c'est différent. Il n'est pas possible de délimiter ton public potentiel. Tu connais peut-être des gens qui détestent le hiphop, mais je suis prêt à parier que tu peux les surprendre au moins une fois en train de bouger la tête en écoutant une pub Sprite ou Nike, ou peut-être qu'ils aiment un de ces morceaux pourris de rock qu'on peut entendre à la radio et qui pompent des trucs hiphop (tu sais, avec les samples de Rakim scratchés dans le refrain, et les breaks des Jungle Brothers sous les guitares acoustiques de Dave Matthews…). Je déteste cette merde mais ne le dites à personne parce que ne détester personne sauf les haters est un peu mon gimmick. Et j'ai des gimmicks et autres idées commerciales, je n'ai rien contre le marché commercial et la société mainstream, je pense simplement que les trucs qu'ils aiment sont stupides, ou en tout cas ce ne sont pas les choses que j'ai envie de faire.
Ouais, c'est ça, ce n'est pas ce que j'ai envie de faire (je n'ai pas vraiment envie de sortir des tubes, et je doute que je le fasse un jour, c'est pour cela que j'ai créé RCR, le graf c'était pareil, je n'étais pas un bombeur, je prenais toujours mon temps pour les pièces). Si je devais détester quelque chose, ça serait le rap underground, je trouve que la plupart des trucs qui sortent sont pourris. Alors non, je ne pense pas abandonner un jour, j'aime trop ce que je fais et je suis carrément dans le truc. Et puis ça fait tellement longtemps que je suis dedans, et je n'ai même pas abandonné le graffiti, je trouve juste qu'à l'heure qu'il est, tous les graffeurs de Boston puent. Et je n'ai pas envie de prendre des risques pour quelque chose en laquelle je ne crois pas. Et je ne compte pas prendre le rôle du sauveur du graffiti à Boston, je n'ai pas les couilles, et Nancy les arracherait direct si je le faisais.
P.S. Vault est de retour et il a niqué la ville comme il le faut, tous les jeunes devraient suivre son exemple, mais pas avant d'avoir appris à graffer.
Eh, je ne savais pas que tu étais dans le graf… et encore moins que tu étais dans l'art visuel à l'école… mais finalement ça se sent dans ta musique qui est très visuelle…
Tout ce que je fais est très visuel, oui, particulièrement la musique. Pas seulement la musique comme on l'entend mais aussi ma manière de la créer. J'utilise un storyboard et des graphes avec des cercles, des carrés et des triangles de différentes tailles pour illustrer des emplacements et des couleurs différentes dans la musique. Je dois souvent faire des dessins de mes idées car la plupart des mes projets sont des collaborations. Même quand je fais toute la musique moi-même, il m'arrive de sampler un pote ou d'avoir un invité sur un track, alors il me faut expliquer mes idées d'une façon ou d'une autre. Puisque aucun de nous n'est musicien au sens traditionnel du terme, je crée ma propre façon de communiquer mes idées et je m'aide généralement de l'art visuel pour le faire.
Très intéressant. Et puis il y a les pochettes d'albums que je sais très importantes pour toi… Penses-tu qu'elles soient aussi importantes que la musique ? Conçois-tu la musique sans la pochette et vice-versa ? Et pendant qu'on y est, tu pourrais nous parler de la pochette de A Jeep Jack Affair car 90% des gens avec qui j'en ai parlé l'ont trouvée absolument horrible.
C'est une des raisons pour lesquelles tous mes projets mettent tellement de temps à sortir, je dois faire toutes les pochettes moi-même et je suis très difficile dans ce domaine. Tu devrais voir le nombre de pochettes différentes que j'ai pour le cd du Yukonn (sans parler du nombre de versions différentes du cd lui-même). Et je m'arrêterais sur encore plus de détails si je ne dépendais pas d'une certaine personne pour les imprimer. Je dois m'arranger et attendre pour qu'on me les imprime gratuitement et c'est un gros bordel. Attends un peu que je dispose d'un vrai budget pour travailler sur mes projets… ça ne rigolera plus. La pochette de A Jeep Jack Affair, c'est quelque chose d'intéressant, non ? Est-ce que je t'ai déjà dit qu'il ne s'agissait pas d'un vrai cd ? Je crois l'avoir fait. Enfin bon, le cd est ghetto et c'est comme ça que je le voulais. En fait, il est tellement lo-fi que je l'ai conçu comme: a) un truc lo-fi et b) si Deux Flics à Miami était toujours la nouvelle série à la mode. A vrai dire, après avoir fait la pochette, je l'ai mise sur le siège du passager dans ma voiture et je suis allé faire un tour avec les fenêtres ouvertes. J'ai conduit une série de tests sur les piétons et j'ai gagné, mon but était que le genre musical illustré par cette pochette soit absolument impossible à déterminer. La pochette devait ressembler au type de cd que tu peux acheter grâce aux actions spéciales qu'ils proposent tard le soir à la télé, comme les "Smash Hits of the Eighties" ou des trucs comme ça. Je voulais que la pochette signifie la même chose pour chaque Américain qui la verrait. Je crois que c'est le cas, mais comment pouvais-je savoir que le cd irait plus loin que les Etats-Unis? Je pensais que personne n'aurait le cd en dehors de mes amis et des stupides meufs blanches que j'aurais harcelé dans la rue, le soir, après avoir trop bu, tu vois?
Alors oui, la pochette est horrible, c'est ainsi qu'elle a été conçue. Elle est censée être attirante par son conservatisme et avoir un attrait commercial par son côté conventionnel, mais je suis trop sarcastique et je sais que certaines personnes finissent par s'énerver. Essayez donc, mettez le cd sur le siège du passager de votre voiture, montrez le aux piétons et demandez-leur de deviner quel type de musique il contient. S'ils ne connaissent pas le nom qui figure dessus, vous aurez le droit à des réponses intéressantes… en tout cas c'était le cas en Amérique. Je ne me suis jamais éloigné de la côte est pour bien longtemps, donc il me serait impossible de vous dire quoi que ce soit sur les habitants des autres pays.
Je devrais continuer en te posant les questions classiques de hiphopsection.com... quelle est ta playlist du moment ?
Otis Redding. Frank Sinatra. Merle Travis. Henry Mancini. Kurupt. Lil Wayne. Creedence Clearwater Revival. Surtout Otis Redding, et puis Kurupt. Et Henry Mancini, c'est bien pour les barbecues, c'est tout. Et beaucoup de Doowop underground des années cinquante (je crois qu'on peut appeler ça comme ça, tout ce que je sais c'est que je n'ai rien entendu de semblable)... voilà ce que j'ai écouté ces derniers mois.
Beaucoup de gens en Europe ne parlent pas anglais, penses-tu qu'ils puissent tout de même apprécier la musique au même niveau que des anglophones ?
Mais ce n'est pas pareil. Juste après le rythme, les paroles contrôlent et créent le hiphop, en tout cas celui que je produis. Apprécier le morceau comme l'artiste aimerait qu'il soit apprécié ? Non. Mais finalement ce que l'artiste avait l'intention d'exprimer importe peu. Il existe un million de façons d'écouter et d'apprécier la musique. Je pense que je peux vous répondre avec une question. La plupart des fans de hiphop aux Etats-Unis ne parlent pas français, pensez-vous qu'ils puissent apprécier le hiphop français à sa juste valeur? Je ne me sens pas encore totalement confortable à l'écoute du hiphop français. Ce n'est pas un truc que je peux écouter à n'importe quel moment. C'est encore un peu lourd pour moi, dans le sens où je dois faire beaucoup d'efforts pour pouvoir en écouter. Je n'ai pas envie de réfléchir à chaque fois que j'en écoute mais je le fais parce que j'essaie toujours de comprendre le truc. Donc je pense que la musique doit être vraiment bonne pour pouvoir être appréciée sans en comprendre les paroles. Alors voir des gens qui ne parlent pas anglais s'intéresser à ma musique est un immense compliment. Je devrais te remercier maintenant mais tu parles anglais et tu es un bouffon.
Quand peut-on espérer voir Jeep Jack et ses amis en France ?
Ah, un jour, mais je ne pense pas que vous me verrez, je suis dans les coulisses.
Derniers mots et dédicaces...
Peace à Devon le top model, pas la star du x, Kobe Tai la star du x, pas le joueur de bask..., Bruce Willis, Kurt Russel, Pedro Martinez, et Manny Ramirez.
Depuis l'interview, Jeep Jack s'est remis à travailler avec Microft Holmes. On raconte aussi qu'il a commencé l'apprentissage de la langue française. La plupart de ses disques sont ou seront disponibles chez Waxexpress.com. Si cela ne vous suffit pas, vous êtes libres de lui envoyer un email à hollywoodjack1@yahoo.com et il vous proposera probablement un arrangement. Les non-anglophones qui désireraient s'adresser à Record Company Records peuvent contacter stephan@recordcompanyrecords.com.