Sub Verse :: 1994 / 2001 :: acheter ce disque
D'un humour noir jouant avec l'identité black du groupe, elle n'a pas été jugée du meilleur goût. Et pour compléter le tableau, Subroc était mort dans un accident de voiture juste après l'enregistrement de l'album. Il fallut donc quelques années de galères, le retour de Zev Luv X sous le nom de MF Doom sur Fondle'em et le succès underground de Operation Doomsday, un nouveau classique, pour qu'une première édition officielle survienne en 2000 sur Ready Rock Records, suivie d'une seconde sur Sub Verse, le label de Bigg Jus.
Black Bastards, évidemment disponible en bootleg chez les véritables adeptes de KMD, a longtemps été étiqueté "meilleur album hip hop jamais sorti" (notamment par l'excellent Ego Trip’s Book of Rap Lists), ou "meilleur album jamais sorti par Elektra", au choix. D’autres ont parlé à son propos du Low End Theory de KMD. Une comparaison loin d’être sotte. L’album reprend effectivement les choses là où Mr. Hood les avait laissées, il démontre encore mieux que KMD est le groupe de rap qui a le mieux réussi à marier substance et humour.
Black Bastards est en effet constant, intégralement bon. Musicalement, il repose sur un substrat principalement jazz, comme la plupart des grandes productions de l’époque, et sur des sons largement issus de The Blue Guerilla, l’album solo de Gylan Kain des Last Poets (toujours d’après le Ego Trip’s Book). Il est riche également de quelques curiosités, comme l’espèce de sifflement de "Gimme". Et le tout se répartit sur des titres souvent courts, enchaînés sans pause et sur un rythme entraînant auquel on doit le côté très digeste de l’album. Le rap brut, direct et soutenu des MC’s épouse à merveille ces beats enjoués et énergiques.
Côté paroles, KMD persévère en partie dans son afro-centrisme teinté d’ironie et d’auto-dérision, notamment sur "What a Nigga Know ?" où les MC’s répondent à la question "Ca sait quoi un nègre ?" par le stéréotype du "sambo", par tous les clichés de circonstance, les invalidant par la même occasion. Zev Luv X et Subroc ne se cantonnent toutefois pas dans ce rôle : ils se consacrent aussi à des thèmes plus légers. Outre quelques allusions à la fumette ("Suspended Animation") qui ont dû participer au trouble d’Elektra, KMD se fend d’une ode à la boisson sur "Sweet Premium Wine" et au sexe sur "Plumskinzz", sans doute le meilleur titre de l’album, présent en deux versions qui plus est. Bref, il y a largement de quoi rappeler sur Black Bastards que le nom du groupe est aussi un acronyme de "a positive Kause in a Much Damaged society".
1994 est l’une des années phare de l’histoire du hip hop. Sans doute la plus riche en classiques. Sorti à temps, Black Bastards aurait eu sa place parmi eux. Quelque part en tête de liste. Il n’est heureusement pas trop tard pour le découvrir, à présent (le comble) qu’il est plus facilement disponible que Mr. Hood. Comme le lance le regretté Subroc sur "It Sounded Like a Roc", dans un troublant élan prophétique : "le jour où je serai un fantôme, attendez-vous à ce que je vienne vous hanter". Il ne se doutait sûrement pas à quel point il avait raison.
Une question me taraude : dans ton processus de relecture des grands classiques, comment jugerais-tu le Black Bastards en 2010 ? A-t-il bien vieilli et s'est-il affiné comme un Enta Da Stage ou a-t-il perdu de sa verve comme un Dah' Shinnin ? Pour ma part, le mythe est intacte.
Une éternité que je ne l'ai pas écouté, mais il est sur ma liste, vu que, comme tu l'as remarqué, je me mets à réécouter une bonne partie de ma discothèque rap, faute de trucs récents passionnants à se mettre sous la dent.
Pour moi, il n'a pas pris une ride, je le réécoute encore régulièrement, les prods ne sonnent pas passéistes et les MCS sont toujours aussi habiles. Je le place même devant le grand classique Mr Hood.
Moi, je préfère Mr. Hood plus cohérent mais Black Bastards est toujours très bon.