Vous visez quel public avec FAL ?
Para : quand tu fais de la musique c’est vraiment 100% pour toi, si tu commences a penser au public, c’est vraiment perverti.
Mais là c’est pas strictement hip hop quand même comme style musical. C’est parce que vous en aviez marre des boucles à 4 temps, c’est lié à un changement de goûts ?
Tac : un changement de goûts a eu lieu pour Para comme pour moi cette année, c’est clair. On s’est rencontrés avec Para, on a commencé à faire des trucs ensemble avec notamment l’Atelier, et comme personne nous regardait, on a commencé à faire des conneries, ce qui donnait quelque chose qui n’avait pas trop de forme. On s’est lâché, et quand on a réécouté, on s’est tapé une crise de fous rires monumentale et on a creusé le truc. C’est vraiment la volonté de bosser autrement que pour une prod classique.
Para : on casse le processus habituel du "je prends une boucle et après je rajoute une ligne de basse, on met des couplets, on masterise le truc, on le vend en magasin etc. etc." . C’est vraiment essayer d’oublier ce qu’on s’était appris et ce qu’on faisait spontanément en fait.
Ce sont des nouvelles influences ?
Para : non, au contraire j’ai l’impression de revenir à des motivations super anciennes. Je retrouve le même plaisir aujourd’hui à faire ça que quand j’ai commencé a faire du son. Tu te retrouves comme un gamin à bidouiller les machines, comme face à une page blanche.
Tac : moi c’est pas tout à fait pareil. Quand j’ai commencé a faire du son j’étais sclérosé et tout plein d’angoisses, il fallait que tout ait 4 temps etc. Là c’est plus une délivrance par rapport à tout ça.
Vous pensez faire poser des MCs dessus ?
Tac : on y avait pensé au début, ça ne s’est pas encore concrétisé pour l’instant.
F.a.l c’est un projet unique, où est ce que vous avez l’intention de pousser la collaboration encore plus loin ?
Tac : mais même l’idée de le produire et d’essayer de le sortir vraiment nous est venue très tardivement.
Para : à la base le délire c’est qu’on était souvent ici (chez para), et un jour on était un peu bourré et on a poussé les boutons au maximum et on s’est rendu compte qu’on kiffait 10 fois plus que d’habitude. C’est aussi simple que ça. D’ailleurs la première live session sera sûrement sur le cd si on le sort un jour parce que ça a été le point de départ. On l’avait mis sur MD, on l’ a réécouté avec TTC et on s’est dit qu’il y avait un truc à creuser. Le point de départ c’est on prend les vieux sons qu’on déteste et on les détruit. On met en place des dispositifs, avec les tables de mixage, un casque qui sert de micro, un canard électronique qui va chanter a tel moment et le clavier qui est allumé, on se met a chanter du chant grégorien. C’est du live, et on respecte ce schéma, on retouche jamais ce qu’on a fait.
Vous vous organisez comment sur un morceau ? Qui fait quoi ?
Tac : il y en a un qui se met au platines pendant que l’autre fait des conneries, et après on inverse les rôles.
Para : le meilleur moment c’est quand on se met tous les 2 sur la Mackie et qu’on fait les cuts en direct avec chacun 2 ou 3 pistes. Nos vieux sons sont intéressants pour ça, vu qu’on savait pas trop ce qu’on faisait et que du coup il y a plein de pistes superflues avec lesquelles s’amuser.
Ce qui fait qu’il peut y avoir des morceaux de 2mn comme des morceaux d’1/2 heure
Tac : oui. Et il y a effectivement des morceaux d’1/2 heure
Para : souvent après l’avoir fait je me dis qu’on est allé trop loin, que là ça va pas le faire. Mais en fait en le réécoutant on se rend compte que non. On a beaucoup de morceaux, mais certains nous plaisent plus que d’autres. Ce qui arrive aussi c’est que si seulement un son me plait, je le resamplerai pour le retravailler après seul chez moi. C’est pour ça que ça s’appelle F.a.l. On en a marre de créer des boucles d’autres gens et de se dire c’est bien ce que j’ai fait, mais je n’ai jamais apporté que ma touche personnelle. Le délire crate digger y’en a un peu marre.
C’est pas des boucles super rares que t’as dans f.a.l ?
Para : ben non y’a pas de boucles, c’est 100% joué, c’est ça l’intérêt au départ. Le truc nous appartient vraiment, même si on est pas musiciens a la base. C’est vraiment une question d’état d’esprit, on pourra aller assez loin. Y’a aucune limite, sauf quand on se dit qu’on aime pas un truc, plutôt que de dire ‘là t’es allé trop loin’.
Vous vous êtes rencontrés comment ?
Tac : moi on m’avait invité a Grekfrites, et j’ai dû intriguer Tek (NDLR : Tekilatex de TTC) qui m’a trouvé sympathique, et comme Para et Tek sont potes de quartier, il y avait des squats d’organisés. Je m’étais a cette époque complètement éloigné de la scène hip hop française, et je préparais Butter for the Fat. Mais j’étais vraiment seul et j’avais personne pour me dire si ce que je faisais était bien ou pas, et Teki m’a poussé à continuer et à le sortir et ça m’a donné un coup de boost pour aller au bout du projet et le sortir.
Et ça t’a ouvert des portes ?
Tac : ça a apporté pas mal de contacts, oui. Tek m’a aidé a envoyer Butter aux bonnes personnes, vu qu’il a un carnet d’adresse hallucinant, et notamment à l’étranger.
Vous avez fait tout les deux une prod d’ailleurs pour l’album de TTC, avec 2 morceaux qui ont été particulièrement remarqués. Ca aussi ça a aidé en terme de reconnaissance ?
Para : oui, ça c’est sûr.
Tac : en plus ça fait super plaisir pour TTC.
Para : je pense qu’on est fier du boulot sur cet album, même si on est arrivé un peu sur le tard. Je suis content que ça se soit concrétisé de cette façon la. Le premier son sur lequel on s’est mis d’accord avec TTC c’était justement celui de 'Pas d’Armure', que j’avais fait pour un court métrage en fait. Et Dose One est venu à Paris et il a kiffé aussi sur ce track là et le soir même on l’a fait. Et comme c’est un morceau long et assez compliqué à mixer avec des textures assez complexes, ca fait d’autant plus plaisir de se dire voila c’est fait, et en plus il passe à la radio.
Et vous avez l’intention de travailler avec d’autres MCs ?
Para : c’est toujours possible de bosser avec pleins d’mc. Mais même en France je suis même pas sûr qu’ils existent, ou alors s'ils existent j’aimerais bien les connaître.
Mais du coup vous allez vous éloigner de ce public hip hop ?
Tac : mais le truc c’est qu’on veut pas que le point de référence soit par rapport à hip hop ou pas. On a assez de liberté pour arrêter d’être en référence par rapport à ca. On est de plus en plus dans le décomplexe. L’esthétique hip hop c’est une supercherie, et en plus c’est moche.
Para : mais ce serait juste bien d’arriver à un stade où on puisse dire que ce n’est que de la musique, ou juste un truc que t’as envie d’écouter. Je pense qu’en ce moment y’a plein de barrières qui sont en train de tomber, et ça ça me fait plaisir.
Tac : ce public là, on a eu l’occasion de le côtoyer, et c’est un truc dans lequel je me sens pas à l’aise. J’ai pas l’impression d’être un Bboy parisien. Tâchons juste d’évoluer chacun de notre côté.
Para : j’arrive jamais à réfléchir au produit en fonction de ce que les gens vont en penser. J’ai conscience qu’il faut passer par là, mais c’est pas ça qui va faire que j’y mettrai plus d’investissement ou non, et à combien j’estime ce truc. Maintenant, si c’est pour savoir qui est sensible à ça, ben là je suis optimiste. Là par exemple l’album de TTC se serait pris une taule y’a 1 an, alors que là ça marche bien. Mais j’ai peut être cette impression parce que je le vis de l’intérieur. C’est vrai que les années 90 ont tenté de tout réduire dans un petit tunnel. Mais là c’est le moment de rouvrir le tunnel à nouveau, je te parle du hip hop français là. Je pense que là tout le monde peut avoir sa place, et là on emmerde personne en plus.
Et toi Para comment t’es arrivé la ?
Para : j’avais un groupe en province, on faisait des concerts contre la drogue. C’était en 94 ou quelque chose dans le genre. Je faisais des sons chez moi, et je les faisais écouter absolument a personne. Et après je suis arrivé a Paris, et j’ai commencé à rencontrer du monde. Je prenais mes études dans le ciné un peu plus sérieusement quand même, jusqu'à ce qu’on me dise que c’était pas mal du tout ce que je faisais, et après j’ai rencontré TTC, Fuzati etc... Fatalement ça me fait plaisir d’être avec eux, c’est tranquille, on veut juste jouer à la playstation.
On trouve tous ces morceaux mélodieux, alors que c’est peut être pas forcement l’impression première.
Para : la raison est simple, c’est qu’au début on part sur des instrus qui sont mélodieuses à la base et que je compose, mais le grain ne nous plait pas. Et quand avec Tacteel on est rentré dans notre délire de saturation et de donner des nouvelles directions à ces nouvelles mélodies, c’est devenu plus intéressant parce que c’était plus lisse du tout. Et c’est ca qui nous a vraiment plu, c’est de prendre des mélodies gentillettes et de les rendre beaucoup plus crades. Mais on peut très bien partir d’une mélodie, ou d’un rythmique, ou d’un vinyle de Jésus, je sais pas moi. Ca c’est du crate digging super rare.
Et vous écoutez quoi en ce moment ?
Tac : là faut réfléchir et trouver des trucs qui font bien.
Para : ce qui est marrant c’est qu’on écoute pas forcement la même chose. Moi par exemple je suis à fond dans Boards of Canada en ce moment. C’est juste le disque que j’ai envie d’écouter en ce moment. Rythmiquement y’a des trucs qui m’ont intrigué. Même la pochette tout ça, moi j’aime bien la montagne, et là ça me parle.
Et là on se dit qu’il est temps de s’arrêter là et d’enfin passer à autre chose…