Ruffhouse / Columbia :: 1999 :: acheter ce disque
Après avoir parlé de sexe en long et en large avec Dr Octagon, puis avec Sex Style que reste-t-il au plus dément des tous les rappeurs ? Le sexe bien sûr, on ne se refait pas. Le sexe oui, mais pas que…
Lost In Space :
"Why are you making those mean faces in your videos with the fish-lens effects? Why? Why do you walk in the club with 30 people around you and stand in the corner with bodyguards for no reason? Why?"
Dès l’introduction le ton est donné, Kool Keith en a plein le cul du rap game, celui-ci se gargarise de sa réussite les pieds dans la merde alors que Keith, lui, rêve d’étoiles, de soucoupes volantes et des néons violets des crédits sexuels qui parsèment les bidon-villes du cosmos. Des têtes vont tomber (c.f. les crédits dans la pochette de l’album pour de plus amples détails). Sur ces 8 morceaux, Keith invente le funk du troisième millénaire qui lui sert d’ écrin pour enrober son fiel dévastateur. C’est que cet opus est quasi-entièrement produit par le rappeur lui-même, secondé parfois de KutMasta Kurt, pour un résultat détonnant et déroutant. Côté emceeing, il est au faîte de son art… flow offbeat percutant et précis, mais qui ne serait rien sans ses lyrics délirants et acerbes. Il exploite la thématique spatiale afin de s’extraire de la lie hiphop qu’il exècre, il nettoie au lance-flamme les écuries d’Augias où prolifèrent les rappeurs de pacotille. Accessoirement Kool Keith nous offre de vrais chef-d’œuvres tels "Rockets On The Battlefield" ou "Livin’ Astro" et invite Roger Troutman au vocoder juste histoire prouver qu’il est le "Master Of The Game", et il l’est.
Black Elvis :
Revoilà le Kool Keith mégalomane, misanthrope et collectionneur de petites culottes. Black Elvis, comme tout bon guitar-hero qui se respecte un tant soit peu, enregistre dans de prestigieux studios, se défonce avec Mötley Crüe et tombe toutes les filles en exhibant ses parties génitales. Cette extrapolation du personnage de la rock star décadente lui sied à merveille ; Kool Keith personnifie l’archétype du VIP qui aurait mal tourné, la vedette déconfite par l’abus de drogues qui noie son cerveau dans le Courvoisier assis dans le sofa confortable du hall de sa maison de disques en se faisant manucurer par un soutien-gorge rose fluo 90D. Musicalement, cette deuxième partie se démarque du délire spatial de Lost In Space sans toutefois abandonner ces ambiances sombres qui sont devenues la marque du MC aux mille alias. Kool Keith est ici plus sensuel, plus sexuel même, comme le montrent des titres comme "Fine Girls", "The Girls Don’t Like The Job" (tout un programme) ou encore "I Don’t Play" où il se met dans la peau de la star du lycée toujours disposé à assouvir les fantasmes débridés de ses groupies. Black Elvis peut se le permettre, il a des valets qui briquent son hummer vert pomme et un tailleur personnel qui crée sur mesure les manteaux de fourrure qui serviront de matelas à son auguste personne lorsqu’il culbutera la secrétaire personnelle de Jean-Marie Messier.
Kool Keith est fêlé, ceci n’est pas nouveau… Kool Keith s’invente des personnages pour exprimer les divagations de son esprit, ça aussi on l’avait remarqué. Seulement avec Black Elvis / Lost In Space Kool Keith semble n’avoir jamais été autant lui-même. Toujours soucieux de ne ressembler à personne d’autre, le rappeur le plus singulier encore en activité assène son humour scato-pornographique et jouit devant un mur d’amplis Marshall lors du Super Bowl. Il n’a besoin d’aucun faire-valoir, d’aucune caution hiphop pour se justifier, Kool Keith a 50 ans d’avance sur tout le monde, ce qui explique que le nombre d’invités sur cet album solo soit réduit à la portion congrue (un Sadat X sur le retour, ‘Static’, et Motion Man sur l’excellent "Clifton"). Bien sûr certaines compositions manquent un peu de relief, mais il est impossible de lui en tenir rigueur tant il est captivant dans ses textes. Le hiphop a créé un monstre et ce monstre est bien déterminé à se venger.