Mais la particularité principale de cet opus réside dans son concept : le projet "Duration" est un morceau de 40 minutes découpé en 16 parties distinctes s’harmonisant entre elles. Chaque segment de cette fresque musicale a été joué dans des lieux publics divers et dans chacun de ces lieux Sixtoo, artiste complet (MC, Producteur, DJ, Graffeur), a laissé une marque graphique sous la forme de pictogramme ou de graffiti à dessein d’illustrer les émotions contenues dans ses composition. Mais peut-être que l’explication de l’artiste lui-même suffit :
Each segment of audio has been re-recorded in a public space. Each recording space has a physical marker, which serves as a tangible memory of music. The markers don't mean anything, except that sound happened at each location. It's not art. It is illegal, but it's not graffiti. Something else, it's just there.
Voilà pour la petite histoire. Mise à part cette démarche, que certains qualifieront sans autre forme de procès comme de l’art-faggotry, l’intérêt prépondérant de l’album réside avant tout dans sa dimension musicale.
Toujours soucieux d’améliorer la valeur de ses productions, Sixtoo atteint ici son meilleur niveau. On glisse d’une plage à l’autre sans s’ennuyer, tant il met un point d’honneur à mélanger toutes sortes de sons et d’influences. Afin de réaliser cet album dans les meilleures conditions, Sixtoo s’est adjoint les services de plusieurs musiciens, Mike Boudreau à la guitare, Lukas Pearse à la basse et Seth Von Handorf au saxophone. On y retrouve bien évidemment de nombreux scratches dans la ligne directe du terrorisme vinylique des 1200 Hobos sans que cela ne vire à la démonstration stérile comme cela est trop souvent le cas avec certains DJs. Chaque intervenant collabore au projet avant de mettre en avant ses propres capacités. Fidèle à lui-même notre canadien distille des beats de haute volée appliqués en couches multiples au rendu tantôt très propre, tantôt brumeux et chaotique.
On pourrait penser qu’un long morceau de la sorte puisse lasser et n’être qu’une succession de bons passages entrecoupés de phases de remplissage, seulement Sixtoo n’a plus rien à prouver et il se plaît à se surpasser à chaque instant. Les atmosphères pénétrantes emplies de basses rondes se fondent à merveille avec d’autres mouvements nettement plus agressifs et distordus. Comme si cela ne suffisait pas, on retrouve également sur cet album l’intégralité du 10’’ Secrets That Houses Keep passé presque inaperçu à sa sortie, soient cinq titres supplémentaires dont le morceau éponyme que vous avez pu découvrir en différents fragments sur le récent album de Sage Francis. Un bonus de luxe qui rompt avec la cohésion de Duration mais dont personne ne songera à se plaindre.
Si le concept général peut paraître nébuleux ou vain, il est littéralement balayé par la puissance évocatrice des compositions de Sixtoo, qui signe ici un travail formidable, beaucoup plus abouti que ce qu’il a pu réaliser par le passé. On sent un réel effort de perfectionnisme quant aux textures des sons ainsi que dans leur mise en scène. Cet album n’est certainement pas à réserver aux fans transis d’Anticon ni non plus aux aficionados du son minimaliste caractérisant la scène hip hop d’Halifax, mais il saura également plaire à tous ceux qui apprécient un hip hop instrumental chargé d’émotion. Une vraie réussite.