La suite est caractéristique des errances d’un MC qui fait les mauvais choix aux mauvais moments, et qui, à force de suivre des conseils foireux, se retrouve à faire ce qu’il a toujours décrié. Pourtant, il a suffi d’un séjour à New York en 1998 et d’une série de rencontres avec des artistes comme Pumpkinhead ou Jean Grae pour que Supastition voit le bout du tunnel. S’en suivent des showcases au Lyrcist Lounge à Manhattan, et de courts passages sur des labels inconnus.
C’est grâce à ses featuring sur l’album de The Nobodies, Now Culture, et sur un des morceaux cultes de l’underground, le "2 Many MC’s" d'Esau, qu’il commence à se faire connaître. A côté des prises de contact et au-delà des apparitions discographiques, Supastition part en tournée avec The Nobodies afin de se porter au contact du public et de se faire connaître. Parallèlement aux concerts, il commence à être connu comme battler hors pair, multipliant les compétitions et les shows radios et laissant peu de chances à ses adversaires. Sa demo tape circule alors chez tous les labels indépendants, mais c’est Rasco qui le signera, en premier, pour un maxi sur son label. La suite, c’est cet album, 7 Years of Bad Luck, sorti sur Freshchest Records.
Parmi la multitude de MCs évoluant sur la scène rap battle, Supastition fait figure de pionnier. Il ne se limite pas à l’unique dimension battle, il va au-delà. D’un côté, il y a son flow qui peut prendre différentes formes, loin des rappeurs sans flow à la mode (Epic, Phlegm si vous nous lisez), Supastition attaque de façon constante le micro mais en nuançant ses phases. Souvent, les battle MCs se laissent emporter par leur flow, comme s’ils se sentaient obligés d’en faire toujours plus, les battles restant avant tout démonstratives. Supastition, lui, balance ses rhymes de façon très claires, privilégiant la qualité à la quantité. Il a une façon particulière d’articuler son flow, tout en modulation, en fonction des productions.
Il y a aussi ces lyrics qui font une part belle aux expériences personnelles et introspectives, mais qui savent aussi se transformer en punchlines dévastatrices. A cela s’ajoute des productions solides et efficaces de Freshchest Prose, Equinox de Nobodies, Hood, mais aussi de producteurs moins connus comme Sarcastic, Eagleman ou Double S. Elles donnent à ce disque une couleur pseudo-mainstream intéressante, il ne s’agit pas de reproduire les standards actuels mais de les contourner et d’offrir une alternative à un public exigeant.
Le contenu de l’album se déroule donc sans qu’on s’en rende compte, comme si les productions, parfois minimalistes, parfois plus structurées, portaient toute l’attention sur le MC en lui donnant une base rythmique suffisante à son épanouissement verbal. Souvent dans le genre battle, les productions reprennent les mêmes grosses ficelles, "un beat qui claque, quoi !". Supastition aborde donc les thèmes qui lui sont chers, en bon battle MC, il aime dénigrer les wack MCs comme sur le morceau "Crown Me!!!" en leur balançant des punchlines féroces. Mais il sait aussi parler de lui, de ce qu’il a enduré, de ses expériences avec ses girlfriends sur les morceaux "Mixed Emotions" ou "Fallen Star". Même si les lyrics sont bien écrits, l’intérêt réside davantage dans leur mise en forme.
Au regard de la production discographique de l’année 2002, jugée parfois pauvre, 7 Years of Bad Luck sera sûrement parmi les meilleurs premiers albums sortis. Si on met de côté les deux morceaux faibles du disque, "Da Waiting Period" et "Body Language", et quelques petites fautes de goût, l’ensemble reste d’un bon niveau. Malgré certaines lacunes, il ne fait aucun doute que Supastition a le talent et le charisme nécessaires pour devenir dans le futur un artiste majeur de la scène hip-hop indépendante.