Solesides :: 1994 :: acheter ce disque

Mais, remontons encore 2 ans en arrière, quand Xavier Mosley (Chief Excel) et Tim Parker (Gift of Gab) étaient étudiants à Sacramento. Ils ont été présenté l’un à l’autre par leur ami et MC Homicide. Ils décidèrent de faire de la musique ensemble, et se voyaient en Run DMC de l’ouest. Homicide quitta la ville, laissant nos deux compères seuls. Qu’à cela ne tienne, Gift gagnait ses galons de MC à travers Sacramento, allant de battle en battle. Après moults péripéties, nos deux protagonistes se trouvèrent séparés, Gift étant à LA, et Xcel à Sacramento. Ils continuaient cependant à enregistrer des morceaux. Comment ? Via téléphone bien sûr. Xcel lançait le beat de son côté, et Gift rappait au téléphone. 15 chansons ont été enregistrées de cette manière plus que Lo-Fi ! Il ne pouvait en être ainsi éternellement. Gift rejoignit le Chief à Davis, alors que ce dernier était rentré en contact avec le crew Solesides. Et c’est en juillet 1991, qu’ils prirent définitivement le nom de Blackalicious, pour le meilleur, et encore le meilleur.

Solesides se place directement dans une optique de label indépendant, pas de démo, pas d’envoi aux maisons de disques, tout est fait par eux en somme. C’est à ce moment là, en 1993 que les choses sérieuses commencent. Première sortie Solesides, en janvier de cette même année, d’un vinyle avec deux faces A. sur la premiere face, "Entropy" de DJ Shadow, sur l’autre "Send Them" de Lyric’s Born. Chief et Gift posèrent tout deux sur la face de Shadow. C’est leur première trace discographique.

Les choses s’enchaînent assez vite, puisqu’en 1994, la 2ème sortie discographique du crew sera signée Blackalicious. Excel et Gab enregistrèrent environs 20 morceaux, et prirent le temps d’en sélectionner six. Ces six morceaux formèrent Melodica, EP qui connut un succès d’estime dans l’underground, jusqu’à en arriver aux oreilles de James Lavelle, patron du label anglais Mo Wax, avec lequel DJ Shadow travaillait à l’époque. Mo Wax offrit une sorte de seconde vie à ce EP, en permettant sa diffusion en Europe et au Japon, ce qui par la même permit au groupe de faire une chose qu’il n’avait jamais faite auparavant : une tournée !

Nous en arrivons ainsi à parler de ce mythique EP, qui va permettre de remettre certaines choses au point quant à la place de la West Coast Underground dans l’histoire du hip hop. Rappelons que la même année sortait Illmatic de Nas, que beaucoup proclament (à tort ?) comme un classique geniallissime. Pour ma part, je rappelerai que sur la Côte Ouest, en 1994, Saafir sortait ses Boxcar Sessions et Blackalicious Melodica.

Melodica ou le voyage flowesque d’un Gift of Gab qui ressent le beat comme s’il faisait partie intégrante de sa personne. Melodica ou des instrumentaux soul/funk très boom bap de Chief himself mais aussi de Shadow (pour "40 Oz for Breakfast" et "Rhymes for the Deaf, Dumb and Blind"). Tout commence par "Swan Lake", morceau co-produit par Excel et Shadow, sur lequel Gab place son flow affûté, et nous invite à l’évasion de notre esprit ("Live another day, learn another lesson, Ain't no need to get my mental status cold stressin" / "all I wanna do is run my own universe"). Des basses omniprésentes, c’est une des marques de fabrique de cet opus, des basses qui vous courent dans les tympans, pour vous les titiller toute la journée. Et l’on passe, dans ce fond sonore homogène mais dense, d’un Gift of Gab posé, à un Gift of Gab battle MC hors pair. C’est sur cette pseudo-opposition entre une écriture plus introspective et personnelle et une écriture rough et battle que se construit le disque. C’est ainsi que sur "40 Oz for Breakfast", Gift cultive son côté westside, amoureux de l’alcool, et plus précisemment de la bière, affirmant que seule une (ou plusieurs) 40 Oz. lui permettrait de passer la journée.

Ici, les futurs MC’s doivent réfléchir à deux fois avant de continuer la lecture de cette chronique, sous peine d’arrêter le rap, car au chapitre des battle MC’s, Gift of Gab ne fait pas pâle figure. avec le (trop ?) court morceau 'Rhymes for the Deaf, Dumb and Blind' (des rimes pour les sourds, muets et aveugles), et 'Lyric Fathom', il s’attaque aux wannabe rappeurs sans détour en martyrisant le beat à force d’être dessus. Voici quelques morceaux choisis : "I start shit with rappers who can't rhyme, I spark spliffs cuz I don't stagger when I'm high" / "I wrote this piece as just a little dedication to the rappers on the other level" / "Get the Feds to arrest me for slaughtering emcees, that's right, on my testicles come get a little array of the skill supreme. Wanna defeat me? My nigga, you should kill the dream, the noise, the boys, the count, everybody".

L’assaut final est donné en compagnie d’Asia Born et Lateef (pas encore réunis sous l’appelation Latyrx), qui se hissent au niveau de Gift pour le flow, car force est de constater que le crew solesides a de très bons MC’s, ne ménageant pas leurs efforts pour éradiquer les mauvais rappeurs de la planète.

Ce Ep nous met en définitive en présence d’une fraîcheur musicale annonciatrice du futur Nia, avec un Gift au flow encore plus aiguisé, un Chief Excel aux productions boom bap non ridicules, même si elles constituent parfois le point faible du groupe, mais heureusement qu’un DJ Shadow est là pour renforcer l’artillerie. On ne peut donc qu’admirer la façon dont Gift avec la précision d’un chirurgien plastique se pose dessus comme sur un scalpel trop aiguisé pour un simple MC, et on ne peut que penser au futur "Alphabet Aerobics" (sur le A2G EP) qui a laissé plus de séquelles qu’un bébé qui joue avec un rasoir.