Comme l’a écrit un grand philosophe suisse à propos d’Adopted by Aliens : "Le remix de "Mos Eisley" peut s’avérer rapidement poussif en raison du flow particulièrement forcé de Circus qui assure le titre en solo". Moi aussi, pendant des mois et des mois d’écoute intensive de ce disque, j’ai eu beaucoup de mal avec le débit de Circus : l’off-beat c’est bien, mais ce n’est pas pour autant qu’on peut prétendre rapper sans être capable de tenir un rythme pendant plus de trois mots, et puis l’originalité ca ne veut pas dire prendre des intonations farfelues tout le temps… Avant d’innover il faudrait déjà maîtriser quelques techniques de MC.

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Même si je suis désormais acquis à sa cause, je peux difficilement imaginer Circus faire un seul couplet avec des rimes au bout des vers, et des rythmes réguliers. Je me suis juste rendu compte un beau jour que cela faisait des semaines que j’avais des phrases en boucle dans ma tête du genre "She’s the man who wears the pants, in the house derelict Mickey Mouse" ou "Hoolie Hoolie Hoollie, Mos Eisley to the ground is fallin, Lucky Lucky Lucky, Sorry Macaroni…". Et par chance, Gangstahz Fo Gawd venait de sortir.

Tout ça pour dire que même si on a l’habitude des flows barrés et des side-projects bizarres, on sera facilement rebuté par cet album : "c’est trop cacophonique pour moi", "ça m'a plus fait mal au crâne qu'autre chose", serez-vous tentés de vous dire. Et cela se comprend : l’album, collection de morceaux enregistrés entre 1995 et 2000, ne commence pas en douceur avec "Planet G Spot" où, accompagné d’une note de basse monolithique, Circus s’exclame pendant plus de 6 minutes "Planet Earth is my favorite planet on Earth" ; et "Access the Light Body" est du même tonneau.

Mais, que l’on s’habitue à cette diction lente et fantasque, on peut alors s’extasier à loisir sur chaque phase du plus grand-guignolesque des rappeurs : surtout que le troisième morceau bénéficie d’un excellent beat d’Awol et Asmar : ça commence comme un morceau funky old-school, et évolue par l’addition de plus en plus de samples, de basse, de batteries les uns sous les autres, avant de se noyer dans des nappes de violons synthétisés cheap et d’effets de delay : c’est à la fois très gros et très fin, rien de minimal ou d’épuré, à l’image du flow envahissant et exagéré de Circus. Après un hilarant freestyle sur le thème "sign me a check", on arrive à "Sheeple", où Circus nous dévoile le fond de sa pensée : "Despite all the ugliness, this world still is a beautiful place to be". Circus fait du rap baroque, surchargé de sons et de voix superposés dans tous les sens parce que ce joyeux schizophrène voit le monde comme une profusion de couleurs chatoyantes par lesquelles il suffit de se laisser enivrer. Et contrairement à ce que je viens de faire, ce n’est pas par des effets poétiques faciles, ni par des instrus jazzy qu’il fait passer sa bonne humeur, mais par une inventivité de tous les instants, une énergie communicative dans chaque mot qu’il proclame et son humour décontenançant.

Tiens, nous sommes déjà à la piste 8, et ça tombe bien car c’est le début d’un morceau épique en six parties qui donne son titre à l’album. Je ne vais pas vous en faire un commentaire composé mais sachez que "Gangstahz fo Gawd" est un tissu d’idioties de 17 minutes sur le thème de Dieu et Jésus, en compagnie de Ras Hebrew, et que c’est un des morceaux les plus drôles qui m’ait été donné à entendre depuis Dr. Octagon. La fin de l’album n’est pas en reste : avec "Alabama X", on rentre enfin dans la neuvième dimension sur une instru à base de sons qui résonnent comme si l’on était dans l’espace et que les sons puissent résonner dans le vide. Et puis, comme ce n’était pas assez avec "Gangstahz Fo Gawd", Circus nous remet ça avec "Smash Hit Single Of The Millenium", gros couplet de 16 minutes qui fera le délice des amateurs que vous serez, je l’espère devenus.

La suite des aventures de Circus, alias Kid Zelda da Neanderthal Elf, alias Child Star Hair Cutz, dans le courant de l’année, avec un album produit par Odd Nosdam, et un autre par Asmar. En attendant, "Sunshine in your head !".