Pourtant, sans s'écarter de recettes familières (phrasé saccadé, samples, rythmes heurtés, scratches), Buck 65 et Sixtoo (alias les Sebutones), Kunga219 et DJ Gordski (alias The Goods), Josh Martinez et beaucoup d'autres qui ne demandent qu'à être connus ont réussi à doter le hip hop d'une saveur inédite, grâce à l'alliance d'un rap poétique qui n'est pas vraiment du spoken word (mais pas non plus des vers de collégien déclamés façon hardcore), et d'une musique sur l'os, assez austère, sans détail superflu, tantôt ample et extravertie, tantôt sensible et mélancolique. Le tout avec un détachement et un humour (souvent sarcastique, notamment chez Buck 65) qui les vaccinent contre l'emphase et la prétention.
Et pourquoi donc ce trou perdu d'Halifax ? Trois raisons à cela. Tout d'abord la très forte concentration d'universités dans cette petite ville, qui explique par ailleurs les prétentions littéraires de ce hip hop là. Mais aussi l'implantation d'une forte communauté noire, l'une des plus anciennes au Canada (Halifax était l'une des destinations de l'Underground Railroad) qui a très tôt sensibilisé la jeunesse blanche et noire de la ville au rap. La ville a même eu des premières stars avec MCJ & Cool G, signés sur une major dans les 80’s. Enfin, son isolement et sa vie ennuyeuse ont permis à Halifax de faire grandir sous cloche une culture hip hop singulière et exotique.
C'est un comble, sans doute, de voir Halifax trouver sa place sur la carte hip hop, et bénéficier d'un article dans The Source en mai 2000, quand n'importe quel Canadien de passage vous certifiera que La Nouvelle-Ecosse est le coin le plus paumé du pays. Souhaitons cependant qu'elle ne le reste pas.