Une première interview de Buck 65 de passage en Belgique à l'occasion de sa tournée Européenne.

Rappeur-acteur ?

Dans la vie de tout les jours, je suis plutôt un type timide mais, je ne sais pas, dès que je prends le micro, c'est comme une perruque ou une paire de lunettes de soleil, je me mets dans l'un peau d'un autre personnage, ce qui me permet d'aller sur la scène, faire n'importe quoi, tout ça... Je crois que ça vient avec l'expérience vu que ça fait un bout de temps que je fais ça maintenant. C'est vrai que le micro est l'outil de ce passage vers la fiction. (...) Sur beaucoup de plans, un MC est un acteur, c'est juste qu'il n'est pas à l'écran. Quand j'étais petit, j'écoutais toujours de la musique en fermant les yeux. Et pour moi, le plaisir, c'était quand je pouvais la visualiser et quand je pouvais voir une histoire qui irait avec la musique. Je pense que quand elle est au top, la musique peut devenir quelque chose de très visuel. Je m'efforce d'être aussi visuel que possible. J'essaie de créer un univers et de détailler au maximum, sans nécessairement utiliser beaucoup de mots. Parfois, l'utilisation efficace d'une métaphore est le meilleur moyen de permettre à quelqu'un de voir quelque chose.

L'isolement, la création, la communication...

Jusqu'à l'âge de 18 ans, j'ai grandi dans une toute petite ville à la campagne, avec juste quelques centaines d'habitants. Ensuite j'ai déménagé à Halifax qui est une ville légèrement plus grande mais qui est n'est pas si grande que cela et qui reste éloignée des autres grandes villes (Boston et Montréal). En fait, je suis plutôt content de ça parce que quand j'ai commencé à faire de la musique, il n'y avait pas beaucoup de gens autour de moi qui faisaient du hiphop donc je n'ai pas eu à subir d'influence. J'ai aussi grandi dans un relatif isolement et suis toujours attaché à mon enfance, j'en parle très souvent. Je suis un solitaire, c'est sûr. (...) Certaines personnes voient des aspects négatifs au fait de rester reclus mais cela me permet de garder de l'espace et de rester enfermé dans mon monde. Quand je suis dans le processus de faire un album, il est difficile de me parler parce que je suis perdu dans un ailleurs. Mais l'isolement m'est bénéfique. C'est le seul monde que je connaisse, je crois...

(une courte discussion à propos des chansons enfantines et de quelques autres choses que nous n'avions pas comprises durant le concert)

Généralement, je n'aime pas être esotérique. Je n'aime pas être bizarre juste pour être bizarre. Ce que j'ai appris avec le temps, c'est que si ce que je dis est vraiment personnel et même si les gens ne voient pas exactement de quoi je parle, à un certain niveau les gens peuvent en retirer quelque chose d'émouvant. (...) J'essaie de rendre les choses assez claires. Ce soir, j'ai fait une chanson "Shining Shoes", c'est à la première personne et ce cireur de chaussure dit aux gens que si tu fais les choses trop vite et que tu ne retires pas de fierté de ton job, alors les clients ne reviendront pas... Ici, la métaphore est évidente et vise tous ces MCs qui essaient de rapper toujours plus vite et ces DJs qui essaient de scratcher toujours plus vite... La plupart du temps, ça passe au-dessus de la tête du public et personne n'en retire rien. Alors que si tu t'attaches à façonner ce que tu fais et si tu y accordes de l'importance, peut-être que les gens réécouteront ton album... Je pense de plus en plus à ce genre de choses ces temps-ci. Quand j'étais plus jeune, j'essayais juste de dire des trucs généraux et puis je réécoutais mes albums et me disais: "je n'ai rien dit de vraiment signifiant dans tout l'album". Je ne veux plus faire ça, il y a trop de ça dans le hiphop actuellement. J'espère que les gens peuvent retirer une substance de ce que je dis même si ce que je dis n'est pas trop directif. En fait, ça dépend de mon écriture. Si je suis un bon écrivain, ça marchera, si je suis un mauvais écrivain, ça ne marchera pas... il faut donc que je continue à bosser dur.

Influences littéraires...

Je lis beaucoup et ai généralement plus d'un livre en cours. (...) Je lis beaucoup de poésie... Rilke, E.E. Cummings, Charles Bukowski, j'aime aussi William Burroughs. Je visionne beaucoup de films, c'est une très forte influence pour moi. (...) Les trucs que j'utilise dans mes albums peuvent vraiment provenir de n'importe où. Parfois, je trouve un refrain obsolète dans un disque pour enfants, parfois ça vient d'un film. Des fois je trouve un truc poétique dans quelque chose qui n'a rien de poétique. Dans mes derniers enregistrements, j'ai emprunté plus d'une fois à Burroughs et aussi Anais Nin. Ca m'intéresse toujours de découvrir un bon écrivain ou même un bon songwriter comme Tom Waits ou Simon and Garfunkel ou Brian Ferry...

Rappeur par nécessité ?

Il n'y a pas beaucoup de poètes qui deviennent riches en écrivant des bouquins. Et c'est ce que j'aime dans le hiphop : quelqu'un comme moi peut prendre sa poésie, l'appliquer à de la musique et l'amener vers une masse de gens. Dans ce sens, le hiphop est le dernier havre de paix pour la poésie. Ca la fait survivre dans le monde entier (...) Il ya beaucoup de mes écrits que j'aimerais voir publiés un jour. J'espère que la musique m'ouvrira certaines portes, notamment l' opportunité d'écrire des livres, peut-être des scénarios. Mais écrire des livres, c'est vraiment quelque chose que j'espère être capable de faire assez vite. Et pas juste un livre mais un tas de livres de genres différents, mémoires, fiction, poésie...

Avenir...

Depuis un an, ça se passe plutôt bien pour moi. Quelques célébrités sont assez fans de ma musique -Radiohead, Vincent Gallo (alors qu'il n'aime rien en général), Aphex Twin (lui non plus!!), Melissa Auf Der Maur (Hole, Smashing Pumpkins). Certaines choses en développement semblent indiquer que 2002 sera une bonne année pour moi et que je ferai ce que je fais à une échelle supérieure.

La tournée...

Je suis ici en tournée en partie pour essayer de rencontrer des gens et me construire un public en Europe. C'est très important pour moi parce que la scène européenne a l'air plus sophistiquée que la scène américaine. Il semble aussi que je puisse emménager à Paris en Août (nous parlons des nombreux écrivains venus habiter à Paris pour y trouver de l'inspiration). C'est la première fois que je viens ici et j'espère pouvoir construire à partir de cette expérience. Je suis au point de ma vie où je me dis que si je veux avoir du succès, avoir de quoi vivre, mettre un toît sur ma tête, avoir des enfants... alors c'est le moment d'y aller et de travailler dur.