Deuxième interview réalisé par notre webzine à l'occasion de la tournée Européenne de Buck 65, en France cette fois, à Paris, quelques heures avant son concert très attendu au Batofar en partenariat avec Hip-Hop Section.

C'est le printemps, et ça tombe bien, le temps est printanier. Moment par conséquent idéal pour rencontrer celui qui a eu l'immense honneur d'être classé par hiphopsection parmi les toutes meilleures sorties de l'année précédente avec son Man Overboard, et qui s'avère être l'auteur de la petite perle hiphopisitiquement classique qu'est Vertex. Mr Richard Terfry fait tout lui-même : beats, scrtatchs, mc, mix et mastering mais aussi réponse aux interviews dans les parcs, y compris le parc de Bercy, où nous nous trouvons donc afin de partager nos vues sur un monde en constante ébullition qui n'a pas fini de nous apporter son lot de surprises quotidiennes en tout genre. Une de ces surprises pourrait par exemple se concrétiser par l'installation de Buck 65 en France. Considérez cela comme chose faîte. 2 raisons à cela. Personnelle tout d'abord, afin de rejoindre sa douce Buckette qui devra passer 6 mois à Paris pour des raisons liées à ses études. Professionnelle ensuite, sentant qu'artistiquement ça peut lui apporter quelque chose de plus stimulant que de rester dans le fin fond d'Halifax toute la journée. On apprend d'ailleurs que c'est son nouveau label (dont le nom est encore inconnu) qui a pris cette décision pour lui.

C'est ce label qui paiera tout. Ca devrait m'aider a me développer de manière artistique. Je serai là pour travailler, faire des concerts, écrire, et peut être même acheter un vélo ou quelque chose dans le genre, ...

...nous avoue-t-il joyeusement.

Lorsqu'on lui demande ce qui s'est passé ces 2 dernières années, c'est-à-dire depuis la dernière interview faite pour hiphopsection, il lève un voile sur un sujet que nous n'osions pas aborder par craintes des retombées.

Je vieillis plus vite que l'Homme moyen, et si on a parlé il y a 2 ans, ça veut dire que j'ai sûrement pris 10 ans depuis. J'ai aujourd'hui 18 ans.

Ca a au moins le mérite de faire taire tous ceux qui le disent trop vieux. Il considère avoir pris une certaine maturité aussi, ne pensant plus forcément ce qu'il a pu affirmer quelques années plus tôt dans ses chansons.

Je me concentre sur d'autres choses, sur des détails plutôt que sur l'aspect global de la vie.

Non seulement il a pris le temps de mûrir, mais aussi de perfectionner son nouvel album, Square, à paraître d'ici peu. De son propre aveu, la formule n'a pas changé : toujours cette volonté de construire son album comme une mixtape, soucieux des transitions entre chaque morceau, de donner une unité à son projet:

De par sa fluidité, on se rend même pas compte des différents changements qui apparaissent sur l'album, et je crois avoir découvert énormément de nouvelles influences. Depuis qu'on a parlé la dernière fois, je suis devenu un grand fan de Tom Waits, et je sais bien que je suis en train de m'auto détruire, mais aussi de groupes comme Simon and Garfunkel, ce genre de choses.

On trouve d'ailleurs une chanson dédiée a Kiss sur son prochain album.

Pour compenser tout ça, son écriture s'est améliorée, et écrire des chansons est maintenant plus simple pour lui, il n'a plus besoin de les accoucher dans la douleur.

Je passais beaucoup de temps à penser à des concepts et idées. J'utilisais des personnalités différentes, ce que je fais beaucoup moins maintenant. L'inspiration arrive bien plus facilement.

Il enchaîne pudiquement sur les circonstances qui ont entouré l'enregistrement de Man Overboard, sans jamais le dire ouvertement, faisant comprendre à quel point il s'agissait d'une période difficile de sa vie, émotionnellement avec la perte de sa mère, et personnellement pour des raisons bassement matérielles liées à l'argent. Comme on est devenus potes entre temps, on apprend même que ses amies intimes n'étaient pas forcement de bonne compagnie.

Je suis bien plus heureux aujourd'hui. Certains disent qu'ont fait les meilleures choses quand on est déprimés. Mais je pense pas que ça s'applique a moi, et ceux à qui j'ai fait écouter Square ont beaucoup aimé, y compris DJ Signify, ce qui veut dire bien plus que n'importe quelle critique. Pour lui Square est son préféré, et pourtant il a beaucoup aimé Vertex et Man Overboard.

D'ailleurs, pour une fois, Buck à laissé quelqu'un d'autre que lui poser une production sur son album. Dj Signify co-produit quelques titres : "j'ai toujours été contre le fait d'avoir quelqu'un d'autre sur mon album. Mais ses beats ressemblent vraiment à ce que je fais moi, et je n'ai eu aucun problème à travailler avec lui". Mais c'est plus une exception qu'autre chose. Il tient quand même à cet aspect de son travail, un peu comme un Vincent Gallo (dixit Buck 65).

Je trouve que toujours avoir à faire confiance a quelqu'un d'autre a un côté stressant.

Et puis bon, c'est quand même une de ses marques de fabrique, ce qui le démarque un peu plus des autres, un argument marketing et source de fierté tant qu'à faire. Lorsqu'on constate les résultats obtenus, on se retient de lui donner des conseils.

Suit ensuite une discussion passionnée sur ses méthodes de production, les machines qu'il utilise. Je vous passe les détails, mais on y apprend en gros qu'il utilise une SP1200, qui le force à se battre avec lui-même pour tirer pleinement profit des 10 secondes de sample alloués, "ça me force a être plus creatif, ça me donne un challenge, et ça me donne ce certain son", un 4 pistes qui marche encore on ne sait trop comment, des platines qui n'ont rien d'exceptionnel et un micro Shure SM58. Sans doute influencé par son pote Sixtoo, il commence à s'intéresser de près à ce que permet la technique aujourd'hui. Il a découvert les joies des micros pro lors d'une session en studio, mais aussi, et ça c'est une vraie nouveauté, des instruments live:

Je préfère quand même les samples, qui donnent un aspect humain à la musique que les synthé ne pourront jamais apporter, et c'est en plus l'âme même du hip hop, mais quelques touches de ci de là d'instruments live peut apporter un plus au morceau.

Il n'est pas encre prêt à prendre un virage digital - chaque chose en son temps- et préfère encore enregistrer sur K7.

Mais là je vais investir dans de nouvelles machines. Un très bon pré-ampli et compresseur, et très bon micro, que ce soit un Neumann ou un AKG, et aussi un nouveau sampler, probablement le dernier E-mu.

Il n'a pas l'intention pour autant de se débarrasser de son son si particulier lié a la SP1200:

Non, je vais quand même garder la SP, je veux juste que ma musique sonne mieux. C'est à cause de Sixtoo. Pour lui, même si la musique est horrible, tant que c'est bien enregistré, il trouvera ça génial. Alors que moi par exemple mon disque préféré en ce moment c'est Primitive Plus d'Edan, alors qu'on a l'impression qu'il enregistre sous son lit, mais j'adore. Mais je pense que si je veux réellement avancer dans ma carrière, il faut que ma musique soit bonne à tous les niveaux, y compris en ce qui concerne le son. Si je ne fais aucun compromis artistiques, ça devrait passer. Vertex à été fait avec trois fois rien. La voix n'est même pas compressée. C'est juste mon micro branché directement dans le 4 pistes. Et par moment j'ai vraiment envie de refaire un album comme ça, racheter le même 4 pistes et faire un album dans les mêmes conditions.

J'ai conscience que j'avais promis de passer les détails, mais bon.

Après les détails techniques, on en vient à parler samples. Samples grillés pour être plus précis. Pour quelqu'un qui a écrit un morceau où il se targue de n'utiliser que des samples obscurs et inconnus, ça fait pas très sérieux :

D'ailleurs sur ce morceau, le break est pas obscur du tout (rires gênés). C'est pas que mes samples sont très obscurs, mais je cherche juste à des endroits où personne ne va voir. Je sample des disques qui sont vraiment vraiment mauvais, et je ne les recommanderais à personne. Je tente quand même d'utiliser le plus de breaks Canadiens, et j'en arrive même à faire des échanges de disques, ce qui me rend nerveux parfois. Mais je ne suis pas un collectionneur, je ne cherche pas à avoir les originaux de tout ce qu'il y a sur "original breaks and beats". Je cherche juste ce que personne n'a utilisé avant, et qui sonne bien.

Malgré ce que certains pensent suite à l'affaire "Sleep Apnoea" vs Cypress Hill, il n'utilisera jamais un sample qu'il a déjà entendu.

J'ai vraiment peur que quelqu'un utilise un sample de Vertex et en fasse un hit. Il y a par exemple un sample de "Absolute Elsewhere" sur la derniere piste de Vertex : from dawn to sunrise, sunrise to dawn. Ces temps ci, beaucoup de personnes parlent de ce disque, et j'ai peur que quelqu'un comme Jay Z en fasse un plus gros hit que ce que moi j'ai reussi a faire. (rires un peu moins gênés, voire complices).

Quand on parle de Pierre Henry, ça le fait tout autant marrer :

Je suis pas sûr que je le referais aujourd'hui. Je pensais que personne ne s'en rendrait compte, après tout Vertex était tiré à 100 exemplaires à la base. Ca a un côté un peu embarrassant aujourd'hui, et je suis sûr que beaucoup se disent que je me suis pas foulé, que j'ai juste collé les 2 minutes de la chanson (on se marre un peu plus, ça fait partie de l'ambiance bon enfant).

Il conclut ce petit instant de partage teinté de monologue par le fait qu'il espère simplement que les auditeurs parviendront à s'évader à travers Square, qu'ils le verront comme un projet global, dans la lignée de ses précédents travaux, bien que teinté un peu plus de rock et avec des concepts moins conceptuels. On a bien rigolé, s'agit de retourner à la salle de concert et de laisser les oiseaux là où ils sont, la conversation se poursuit hors dictaphone.

J'apprends par exemple que le sample de "The Centaur" est tiré du film Carrie, lui même tiré du livre Carrie, et qu'un élève un peu fan a décidé d'écrire une thèse sur ce même "The Centaur", relevant le fait que Carrie est seule, incomprise et délaissée de tous, tout comme le Centaur. Il parle de sa passion pour le cinéma en général et David Lynch en particulier, du fait qu'il fait très peu de morceaux avec d'autres MC, même ses amis d'Halifax, et qu'il enverra rarement un de ses sons pour qu'il soit utilisé par quelqu'un d'autre. On évite d'aborder le sujet Anticon, se contentant d'analyser les non-dits (que je garderai en plus pour moi), même si tout va bien avec eux, qu'on se rassure. Il regrette que les 1200 Hobos soient devenus un peu une secte géante qui intègre les amis des amis des cousins, même si il y a un retour aux sources originelles qui s'amorce. Il parle de Jel jouant live de son SP1200:

On dirait un vrai batteur, c'est hallucinant. Il ferme les yeux, et il joue", il avoue que Dose est complètement timbré (mais il me semble que c'est un compliment pour lui), et s'inquiète non seulement de connaître l'image qu'ont les Nord Americains en France, mais aussi de savoir s'il pourra voir des matchs de baseball pendant son séjour parmi nous. Il avoue suivre les préceptes de Ted Williams (joueur de baseball de son état) qui est son idole il faut bien l'avouer. Il est plus végétarien qu'autre chose, ne boit pas d'alcool, mais contrairement à quelqu'un comme Sage Francis, qui lui pousse l'extrémisme à l'extrême, il n'en fait pas un discours politique et le garde pour lui (trop tard).

Le dictaphone reprend du service, de manière un peu moins conventionnelle. La journée promo de Buck touche à sa fin, il fut traité comme une star de bout en bout, séance photo à l'appui avec lâché de pigeon très conceptuel, interviews en pagaille, et finalement on se dit que poser des questions c'est bien, mais pas toujours, et parfois il faut savoir laisser tourner la bande. Je lui laisse 15 minutes pour dire ce qu'il veut, dans l'ordre qu'il veut, adressé à qui il veut, ce qui semble le ravir malicieusement. Il utilise ces 15 minutes supplémentaires de célébrité pour partir dans un délire Buckesque surréel et finalement intranscriptible. 15 minutes to talk...